L’inflation globale en Belgique surpasse tous les autres pays de la zone euro. L’alimentaire et l’énergie, en particulier, poussent les prix à la hausse. Mais d’autres spécificités belges expliquent cet effet «boule de neige». Le consommateur se la prend en pleine poire. Comment l’entraver?
La Belgique est championne d’Europe! Dommage, pas de football, mais bien d’inflation. Calculé à 4,7% en octobre 2024, le taux annuel de la Belgique a encore été supérieur à ceux de tous les autres pays de la zone euro, pour le septième mois consécutif. Interpellant? Oui. Le problème devient constant pour notre pays, qui n’en finit plus de caracoler en tête des différents classements inflationnistes européens depuis près de trois ans.
Le cas belge est impacté par diverses spécificités. Il a été analysé dans le détail par l’économiste Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management. Voici donc les raisons qui expliquent que le coût de la vie (et surtout de l’alimentation) est plus cher en Belgique que partout ailleurs.
Inflation en Belgique: l’énergie, le nerf de la guerre
Première onde de choc: l’énergie. Son inflation est forte et positive en Belgique (13,7% entre octobre 2023 et octobre 2024). Et ce alors que presque partout ailleurs en Europe, elle est négative (elle a baissé de 5,4% en Allemagne, 2,7% aux Pays Bas et 1,9% en France).
Les prix belges de l’énergie sont donc, depuis plusieurs mois, supérieurs à ce qu’ils étaient un an auparavant… alors que le plus gros de la crise énergétique semble passé. Ce paradoxe s’explique par le fait que «la Belgique avait artificiellement baissé le prix de l’énergie avec les mesures d’aides gouvernementales. Lorsque ces dernières ont été stoppées, les prix sont revenus à leur niveau normal, ce qui donne un écart de prix positif sur un an», explique Eric Dor.
L’inflation sur l’énergie est forte et positive en Belgique, alors qu’elle est négative partout ailleurs en Europe.
Qui plus est, le marché de l’énergie belge n’est pas de plus performants, en regard de la concurrence voisine. «Il est davantage lié aux prix spot (NDLR: établis par le marché) que dans d’autres pays. Actuellement, on voit que le prix du gaz augmente à nouveau fortement chez nous.» D’ici quelques mois, cette influence de l’énergie sur l’inflation devrait toutefois s’amoindrir, puisque le gap avec les réductions tarifaires ne sera plus répercuté.
L’inflation hors énergie reste supérieure en Belgique
Là où la situation est plus préoccupante, c’est que l’inflation belge reste supérieure à ses voisines même lorsque l’énergie est retirée du calcul. Ainsi, au mois d’octobre 2024, l’inflation hors énergie atteint 3,7% en Belgique. Elle est supérieure à celle de beaucoup de pays proches, dont la France (1,9%), l’Italie (2,1%) ou l’Allemagne, (3,3%). En octobre, la forte augmentation enregistrée en Belgique «est aussi due à l’augmentation des accises sur le tabac et à la hausse des prix de certaines boissons alcoolisées», pointe Eric Dor.
L’effet boule de neige: mode d’emploi
L’inflation supérieure en Belgique pèse sur le pouvoir d’achat de la population, estime Eric Dor, surtout que les salaires augmentent par le mécanisme d’indexation avec un certain délai. «Avec l’indexation automatique des salaires, unique à la Belgique, les prix réagissent plus vite chez nous. Comme les salaires rattrapent plus vite l’inflation que dans les autres pays, les entreprises les répercutent aussi davantage sur leurs prix de vente», analyse-t-il.
Et donc, le schéma est le suivant:
- Les entreprises sont confrontées à une hausse du prix de l’énergie et des coûts de production: elles augmentent donc leurs prix;
- En réaction, les salaires augmentent en raison de l’indexation automatique qui suit l’inflation;
- Cette augmentation salariale représente une deuxième augmentation de coûts pour les entreprises;
- Les entreprises réaugmentent les prix;
- Les salaires augmentent;
- Et ainsi de suite.
Ce processus presqu’infini «crée un effet boule de neige», illustre Eric Dor.
Inflation alimentaire: des causes en cascade
L’inflation alimentaire est plus forte en Belgique que dans la plupart de ses pays voisins. «Depuis trois ans, elle est forte pour des raisons internationales, mais aussi spécifiques à la Belgique», distingue Eric Dor.
Les raisons internationales ont vu plusieurs facteurs s’empiler les uns au-dessus des autres: les confinements suite au Covid ont perturbé la production, le transport maritime, et provoqué des pénuries de matières premières. Cette accumulation a provoqué une hausse des prix, des biens et du transport, qui ont in fine augmenté le coût de production des biens alimentaires.
Et ce n’est pas tout: à partir de février 2022 et le début de la guerre en Ukraine, la perte de l’approvisionnement en gaz russe et débouché sur la crise énergétique. L’envolée des prix énergétiques a encore renforcé la hausse des coûts de production dans l’agriculture (engrais, chauffage des serres, distribution, etc.). La crise inflationniste a donc particulièrement frappé le secteur alimentaire. A laquelle se sont greffés des problèmes climatique (mauvaises récoltes) ou sanitaire (la grippe aviaire a fait baisser la production d’œufs et de volailles).
Face aux mêmes causes globales, la Belgique fait pire
L’huile d’olive, exemple le plus parlant, a subi une envolée de son prix, avec +100% d’augmentation en Belgique. « En France, l’augmentation de l’huile d’olive se limite à +78%», compare Eric Dor. Ce décalage de prix entre les deux pays est aussi valable pour les œufs, le poulet, le formage, ou les plats cuisinés. «Face aux mêmes causes globales, la Belgique fait donc souvent pire que les autres», constate l’économiste.
«Face aux mêmes causes globales, la Belgique fait souvent pire que les autres.
Car aux conditions globales internationales, s’ajoutent des facteurs spécifiquement belges: l’indexation des salaires (qui accélère la hausse des coûts pour les entreprises et les distributeurs), un manque de concurrence sur le marché belge de la grande distribution (ou qui se déplace en amont, sur l’approvisionnement), et un niveau des prix plus élevé en Belgique qu’ailleurs, indépendamment de leur taux de croissance.
Par ailleurs, la distribution singulière à la Belgique – avec la nécessité de prévoir des emballages spécifiques en plusieurs langues, pour un petit marché – peut également augmenter les prix, mais elle n’explique pas tout.
Quelles solutions?
Alors, comment la Belgique peut ou doit-elle corriger le tir? Pour Eric Dor, une révision du mécanisme d’indexation des salaires pourrait contribuer à résoudre le problème, «mais elle nécessite un débat serein, sans caricatures partisanes, ce qui est complexe dans le dialogue social en Belgique», regrette-t-il. «Le problème principal réside surtout dans le fait d’imposer une augmentation de coûts uniforme, dans un système à taille unique». Ainsi, «le petit commerçant pourra plus difficilement répercuter l’augmentation salariale sur ses prix que la multinationale. Idem quand il s’agit de générer des gains de productivité pour compenser.»
En conséquence, la Belgique perd son potentiel commercial: les dépôts logistiques d’e-commerce qui approvisionnent le pays sont majoritairement localisés de l’autre côté de la frontière (Pays-Bas, France, Allemagne), et, en parallèle, «tout écart de prix provoque une fuite des consommateurs vers les pays voisins.» Une double sanction, donc, fréquemment dénoncée par Comeos.
Le problème de l’indexation automatique est qu’elle provoque une augmentation de coûts uniforme, dans un système à taille unique.
Deuxième option, selon lui: «instaurer une politique de concurrence plus agressive» entre distributeurs, à l’instar de ce que l’Etat a tenté de faire avec les banques via l’émission des bons d’Etat.
Ensuite, analyser les filières d’approvisionnement de certains produits dans le détail, comme celle de la volaille. «La grippe aviaire était partout: pourquoi le prix de la volaille a-t-il encore plus augmenté en Belgique qu’ailleurs?», s’interroge l’économiste.
Enfin, mettre en place «des mécanismes fiscaux qui incitent à l’investissement afin d’augmenter la productivité – les gains de productivité réduisent les coûts».
Car à l’inverse du football, avec l’inflation, le but est plutôt de descendre dans le classement. Pour son bien, l’équipe devra surtout éviter un nouveau carton rouge des arbitres monétaires.