Dans plusieurs hôpitaux wallons et bruxellois, des câlineurs et câlineuses portent bénévolement nourrissons et bébés plusieurs heures par jour quand leurs parents n’en ont pas le temps ou font défaut.
Calée dans un fauteuil, elle a entonné tout doucement une chansonnette, tout en caressant la tête du nourrisson qu’elle tient dans ses bras. Cela fait deux heures qu’elle berce ainsi cette toute petite fille, un mois à peine, qui dort sans se soucier d’autre chose que de la chaleur de cette peau qu’elle perçoit à travers sa grenouillère, de ces quelques notes, de ce parfum qu’elle respire sans le savoir. Clara (1) est née il y a peu d’une maman qui ne peut ou ne veut ou ne sait s’en occuper comme il le faudrait. Le papa de la fillette est inconnu au bataillon. Derrière son bureau, un ou une juge de la jeunesse décidera prochainement du destin vers lequel Clara s’envolera en quittant le service de néonatologie de la Clinique d’Ixelles du réseau des hôpitaux Iris Sud. En famille d’accueil ? En pouponnière ? Elle ne pourra en tous cas jamais rejoindre le domicile familial. Pour l’heure, elle dort. Et c’est très bien comme ça.
Celle qui la berce n’est donc pas sa maman. Enveloppée d’un tablier jaune en papier, gantée et masquée – Clara est actuellement porteuse de quelques vilaines bactéries – c’est une câlineuse de bébés, une de ces anges gardiennes bénévoles qui consacrent plusieurs heures de leur semaine à porter contre elles des tout petits qui n’ont pas d’adultes entre les bras desquels s’abandonner. «Depuis sa naissance, elle passait le plus clair de son temps avec les infirmières mais depuis qu’elle est malade, elle est à l’isolement, explique Mélanie Mc Cluskey, coordinatrice de l’asbl Les câlineurs de bébés. Alors, nous augmentons la cadence de nos visites pour qu’elle ne reste pas seule trop longtemps.»
Dans sa chambre minuscule et surchauffée, Clara s’agite un peu. «Les bébés en attente d’une décision qui fixera leur sort sont dans un état d’hyper-vigilance, ajoute Mélanie Mc Cluskey. Ils sentent que quelque chose va se passer pour eux. Les bébés captent tout. Ils entendent notamment quand on parle, autour d’eux, de leurs parents absents ou déficients. De notre côté, nous ne demandons jamais aux soignants quelle est la situation de l’enfant que l’on va câliner, juste les renseignements utiles par rapport à sa santé ou son état du jour.»
Durant les quelques heures que les câlineurs de bébés passent avec les bébés de 0 à 18 mois, dont certains sont nés prématurément ou sont malades, ils leur parlent, chantent, écoutent de la musique, les caressent. Parfois, ils peuvent aussi leur donner un bain ou leur proposer un biberon. Des moments cadeaux, disent-ils, et pas seulement pour le bébé. En revanche, jamais ils n’interviennent dans le domaine médical, paramédical, ou administratif.
L’association Les câlineurs de bébés, qui compte aujourd’hui 76 membres actifs (dont quelques hommes) sur 90 inscrits, collabore aujourd’hui avec 12 hôpitaux à Bruxelles et en Région wallonne pour proposer ses services. Une extension vers la Flandre est à l’étude. Lancée en 2017 et inspirée par une vidéo montrant un grand-père américain câliner des enfants dans un hôpital, cette association sélectionne rigoureusement les hommes et femmes qui font le choix de consacrer une demi-journée par semaine au moins aux nourrissons qui en ont besoin. Ils se rendent de façon exclusive toujours dans le même hôpital.
Le recrutement s’effectue sur la base d’une lettre de motivation et après une sélection par une psychologue. «On refuse les candidats qui nous disent aimer caresser les chats, les chiens et les bébés, illustre la co-fondatrice de l’association. Et celles qui se targuent de donner des leçons au personnel soignant, sûres qu’elles savent tout mieux que tout le monde. Après une période d’observation, les candidats traversent une période d’écolage de trois mois, durant lesquels ils sont accompagnés à l’hôpital par leur référente. «Nous sommes aussi vulnérables que les bébés. Il suffit qu’un(e) seule bénévole fasse une bêtise et c’est toute la structure qui en souffrira.»
Ensuite, des formations diverses sont proposées aux nouveaux porteurs de bébés : sur l’hygiène des nourrissons, les signes de détresse, la meilleure manière de les envelopper… Dans un second temps, des formations plus pointues sont suggérées : comment gérer l’attachement à ces petits que l’on ne verra plus, comment traverser le deuil si les choses se passent mal, comment adopter la juste posture par rapport au personnel soignant et par rapport aux parents. Sans oublier ces leçons pour chanter aux bonnes fréquences, porter au mieux les nourrissons dans une vaste écharpe ou respirer au rythme adéquat pour apaiser les tout petits dont le coeur bat un peu trop vite. Si les bénévoles qui rejoignent les rangs des Câlineurs signent une convention et une charte déontologique, ils ne s’engagent pas par écrit sur une durée mais il leur est demandé de rester actifs au moins un an.
Lorsque l’enfant quitte l’hôpital vers une nouvelle destination, les Câlineurs n’en sont pas toujours avertis au préalable. Alors, chaque minute de tendresse compte. Pour ne pas se montrer intrusifs par rapport aux parents, ils veillent à être présents à des moments différents de la journée. L’accord parental est d’ailleurs nécessaire pour qu’un bébé puisse être porté. Les Câlineurs marchent toutefois sur un fil: dès lors que certains parents apprennent leur existence, ils désinvestissent et ne viennent plus du tout voir leur enfant.
Des bras bienveillants
C’est dans un autre hôpital bruxellois, au CHU Saint Pierre, que Yannick, jeune retraitée, porte elle aussi les bébés qui en ont besoin dans le cadre du projet « Bras bienveillants ». Il lui arrive de porter pendant 4 ou 5 heures de suite en commençant par les nourrissons les plus fragiles du service de néonatologie avant, si possible, de se rendre chez les plus grands, en pédiatrie. «C’est très engageant émotionnellement, dit-elle. Alors j’essaie de me limiter à deux ou trois heures par jour. Mais même une heure, ça vaut la peine pour les bébés parce qu’on leur parle. Je suis contente de les voir grandir pendant les quelques semaines, ou parfois quelques mois, où ils attendent qu’une décision se prenne pour eux. Ils se retournent quand ils entendent ma voix : les infirmières, elles, ont des horaires changeants tandis que moi, je reste.»
En cas de refus de la part des parents, les pédopsychiatres prescrivent formellement des séances de câlinage aux bébés qui en ont besoin.
Dans les couloirs de néonatologie et de pédiatrie, des affichettes informent les parents de l’existence des Bras bienveillants et de la possibilité pour eux d’y faire appel au bénéfice de leur tout petit s’ils manquent de temps par exemple. Mais les parents formulent rarement cette demande. Ce sont plutôt les infirmières qui le leur suggèrent. Et s’ils refusent ? Dans ce cas, les pédopsychiatres prescrivent formellement des séances de câlinage aux bébés qui en ont besoin.
«Le toucher est le sens qui se développe le plus rapidement chez l’enfant, rappelle-t-on à l’ONE (Office de la naissance et de l’enfance). C’est pour cette raison que le câlin a des effets bénéfiques pour lui: il peut réduire la peur, le stress et les pleurs, constitue une forme de message d’amour pour l’enfant et influence son état de santé. Les caresses permettent en effet de secréter de l’ocytocine, l’hormone liée à l’amour, à l’empathie et à l’attachement. Ces décharges d’ocytocine sont l’un des éléments qui jouent un rôle important dans l’immunité de l’enfant.»