Une large portion de la population belge présente un apport insuffisant en iode. Pourtant, cet oligo-élément est le composant-clé d’une bonne santé thyroïdienne. Les femmes (enceintes) et les personnes véganes sont particulièrement à risque de carence.
C’est le grand oublié des micronutriments. Dans les rayons des pharmacies, il est systématiquement relégué au second plan, derrière l’incontournable vitamine D ou l’indispensable magnésium. L’iode joue pourtant un rôle crucial pour l’organisme. Mais sa faible renommée (et sa présence insuffisante dans les sols) conduit à des risques de carence persistante en Belgique.
Composé minéral issu de la famille des oligo-éléments, l’iode est essentiel à la synthèse des hormones thyroïdiennes, qui régulent la croissance et le développement cérébral. «Par le passé, notamment dans les années 1980, il n’était donc pas rare de voir des cas de crétinisme (NDLR: retard mental et physique irréversible) liés à une carence sévère en iode, précise le Dr Rodrigo Moreno-Reyes, chef de service en médecine nucléaire à l’hôpital universitaire de Bruxelles (H.U.B). Ils pouvaient s’accompagner de goitre, une hypertrophie de la glande thyroïde.»
Grâce à des mesures de santé publique, ces troubles sont désormais largement contrôlés dans la région européenne de l’OMS. Mais les carences légères en iode restent un problème préoccupant. Selon un communiqué du H.U.B, plus de la moitié des adultes belges souffriraient d’apports insuffisants. Un chiffre difficile à confirmer, en raison d’une absence de monitoring à grande échelle en Belgique et de procédures complexes de détection. «A la différence des carences en vitamine D ou en fer, identifiables via une simple prise de sang, on doit utiliser la médiane des concentrations en iode dans les urines pour diagnostiquer un éventuel déficit au sein de la population», explique le Dr Rodrigo Moreno-Reyes. Le spécialiste confirme toutefois qu’«une bonne partie de la population est à risque de carence».
150 microgrammes par jour
Avec des conséquences importantes en termes sanitaires. A commencer par l’augmentation des risques de goitres, d’hyperthyroïdie et de nodules thyroïdiens. «Ce risque de nodules augmente avec l’âge, car la thyroïde, confrontée à un apport sous-optimal en iode, développe un mécanisme d’adaptation et se met à travailler davantage au fil du temps, indique Rodrigo Moreno-Reyes. Les conséquences de cette carence silencieuse ne se matérialisent donc que des années plus tard, à l’instar d’une maladie chronique ou de l’hypertension.» Bénins dans 90% des cas, ces nodules peuvent parfois se révéler cancéreux.
Mais le plus grand risque concerne surtout les femmes enceintes ou allaitantes: un déficit en iode peut en effet provoquer une altération du développement cognitif et physique du bébé. Leurs besoins en iode sont donc supérieurs à la moyenne. Ils sont évalués entre 200 et 250 microgrammes par jour, contre environ 150 microgrammes chez l’adulte.
Un seuil que le Belge moyen peine à atteindre. Pour des raisons géologiques, d’abord. «Les sols belges sont historiquement pauvres en iode, car ils ont été lessivés par la fonte des glaciers lors de la dernière ère glaciaire, précise Nicolas Guggenbühl, diététicien-nutritionniste et professeur à la haute école Léonard de Vinci. Tout ce qui pousse et est récolté en Belgique se révèle donc pauvre en iode, ce qui a un impact sur nos apports alimentaires. Même si, avec la mondialisation, le contenu de notre assiette est aujourd’hui moins lié à la production locale.»
L’évolution des régimes alimentaires n’est pas non plus étrangère à ce faible apport en iode. Par exemple, le recours croissant à des produits d’origine végétale, pour raisons écologiques ou nutritionnelles, limite cet apport. Les personnes véganes, qui ne consomment pas de poissons ni de crustacés («très riches en iode», rappelle Nicolas Guggenbühl), présentent ainsi des risques accrus de carence.
«On voit également de plus en plus de gens remplacer le lait de vache par des laits végétaux de soja ou d’avoine, observe Rodrigo Moreno-Reyes. Mais ils ne contiennent absolument pas d’iode.» Or, en Europe, les produits laitiers représentent environ 26% des apports quotidiens en iode en Europe, pointait l’OMS dans un rapport en 2024. Mais la réponse de l’industrie agro-alimentaire se fait attendre: alors que les producteurs de laits végétaux ont développé des alternatives riches en calcium, ils sont encore trop peu nombreux à proposer des boissons supplémentées en iode pour pallier ces carences.
Encourager le sel iodé
Mais, globalement, le régime alimentaire typiquement européen ne fournit pas la quantité d’iode nécessaire pour que la thyroïde fonctionne correctement, alerte le Dr Rodrigo Moreno-Reyes. «Si un régime sain et équilibré peut couvrir la plupart des besoins nutritionnels, ce n’est pas le cas pour l’iode, car cela reste un oligo-élément plutôt rare dans les aliments.»
Si un recours aux compléments alimentaires peut être envisagé dans certain cas, remplacer le sel de table classique par du sel iodé est la solution la plus efficace pour atteindre les 150 microgrammes d’iode quotidiens recommandés. Ce dernier est disponible dans tous les supermarchés, à condition de faire attention à l’étiquetage. «On nous vante les bienfaits de la fleur de sel, des sels de roche ou des sels d’Himalaya, mais ils ne contiennent absolument pas d’iode, pointe Nicolas Guggenbühl. Ce n’est pas parce qu’ils proviennent de la mer qu’ils sont chargés en iode.» L’occasion pour le diététicien-nutritionniste de démystifier d’autres légendes urbaines: il ne suffit pas de se balader à la côte ou de tremper ses pieds dans l’eau de la mer pour ressentir les bienfaits de l’iode. «Ce qu’il faut, c’est en manger!», insiste l’expert chez Karott.
Reste que pour encourager la population à consommer du sel iodé, les politiques de santé publique doivent évoluer. En Belgique, une Convention sur le sel iodé a été signée en 2009 entre Laurette Onkelinx, alors ministre fédérale de la Santé, et le secteur boulanger pour encourager l’utilisation du sel iodé dans le pain. «Cet engagement perdure encore aujourd’hui, surtout dans les boulangeries industrielles de la grande distribution, souligne Laurence Doughan, porte-parole du SPF Santé Publique. Les boulangeries artisanales restent parfois trop peu informées.»
38 millions par an
Or, comme le souligne Nicolas Guggenbühl, cette politique repose sur un principe volontaire. «Rien n’est imposé aux boulangers et tout dépend donc de leur bon-vouloir, déplore le diététicien-nutritionniste. Cela empêche d’évaluer correctement la mesure, et d’identifier quelles tranches de la population en bénéficient le plus et le moins.» Bref, à défaut de pouvoir agir sur le secteur agroalimentaire, les consommateurs se retrouvent donc «livrés à eux-mêmes» pour assurer une couverture suffisance en iode, regrette l’expert.
Un constat partagé par Rodrigo Moreno-Reyes, qui appelle à un sursaut politique. «La solution à ce problème se trouve dans les mains des ministères de la Santé des pays européens, insiste le spécialiste. Le déficit en iode peut être pallié par des mesures de prévention très simples à mettre en place, dont le rapport coûts-bénéfices est indiscutable.» En Allemagne, une étude a pointé qu’un programme de prévention coûterait 0,11 euro par habitant par personne, alors que le coût des maladies thyroïdiennes se chiffre à 3.000 euros par patient annuellement. «Il n’y a donc pas photo, insiste le chef de service en médecine nucléaire. Dans le contexte actuel de restrictions budgétaires, il est étonnant que les politiciens ne saisissent pas l’opportunité économique de faire de la prévention en iode.»
En Belgique, les coûts liés aux maladies thyroïdiennes dues à une carence en iode (sans parler des coûts engendrés par l’absentéisme au travail) ont été évalués à 38 millions d’euros par an, insiste Rodrigo Moreno-Reyes. «Ce ne sont pas des sommes énormes, dans le contexte actuel, toute économique semble bonne à prendre», tranche le médecin.




