mardi, janvier 7

Si un poêle à bois est capable de chauffage, il l’est aussi de cuisson. Cuisiner dans son âtre, une entreprise aux allures tant rustiques qu’écologiques, gagne en popularité, vantée par les marques de poêles qui s’y engouffrent. Mais gare à l’inhalation et à l’ingestion de particules de fumée, toxiques bien que naturelles.

Pour des raisons de style culinaire ou par volonté de tendre vers davantage de sobriété énergétique, cuisiner dans son poêle à bois séduit bien des adeptes. Comme une pratique d’antan qui regagne les maisons, on pousse une casserole en fonte dans les braises, on y enfourne un gratin. Le tout se partage sur des forums, des groupes Facebook. «Quand j’allume un feu, je me demande quel plat je pourrais y cuire le soir, pour le rendre encore plus utile, décrit Martine Herman, propriétaire d’un poêle de masse (poêle entouré de lourdes pierres à forte inertie thermique). À vrai dire, je ne connaissais pas cette possibilité en le faisant installer, c’est plus tard que j’ai découvert la grille prévue pour soutenir des plats dans le coffret qui contient le mode d’emploi. Le soir, la température est impressionnante et peut sans problème assurer de longues cuissons.»

Certains fabricants de poêles à bois n’hésitent pas à présenter la possibilité de cuisiner tout en se chauffant comme un argument de vente. Et proposent, tant qu’à faire, un catalogue de recettes spécialement pensées pour la cuisson au feu. Leur message: en utilisant le foyer comme four, la préparation des aliments devient plus écologique. Optimiser l’utilisation de l’énergie que l’on consomme, doubler la fonction de chauffage d’un rôle de cuisson, laisser le four ou la cuisinière à l’arrêt pour un repas chaud… l’idée présente effectivement de quoi séduire sur le plan de la consommation domestique. Mais plonger son repas dans son brasier rougeoyant demande quelques précautions, de sorte à éviter d’aggraver les effets nocifs sur la santé que le chauffage au bois entraîne déjà par ailleurs. 

Différents modes de cuisson

Les risques varient selon les poêles à bois dans lesquels il est possible de cuisiner. Trois grandes catégories les divisent:

  1. les premiers n’offrent pas de foyer conçu pour enfourner des plats, mais simplement une surface de cuisson comparable à une taque, pratique pour les casseroles.
  2. Les deuxièmes, outre cette surface éventuelle, proposent un petit espace hermétiquement séparé de la flambée qui, muni d’une porte et contigu au feu, monte en température et acquiert les propriétés d’un four efficace après quelques heures de combustion en contact indirect.
  3. Les troisièmes laissent les observateurs et les professionnels de la santé plus circonspects: ils sont conçus pour cuire des aliments à l’endroit même qui a vu les bûches se succéder pour se muer en braises.

Loin de s’improviser ou de sortir d’un esprit aventurier qui veut se concocter un barbecue d’intérieur sur son chauffage, la pratique se répand et ne se limite pas aux grillades. Ainsi, des marques de poêles se fendent de larges gammes «cooking», d’ustensiles, de grilles, de plaques et de contenants variés en invitant les utilisateurs à «un voyage culinaire» avec leur poêle. 

Cuisiner dans son poêle à bois, de l’enfumage?

Si cuire et manipuler des aliments placés au contact du foyer nécessite, lit-on dans les modes d’emploi, une combustion accomplie, chaque ouverture de la porte du poêle pour surveiller, intervenir ou déplacer les plats expose la pièce à des moments d’émission de fumée résiduelle plus répétés et prolongés que lors de la simple adjonction de bois. «Comme on ne maîtrise pas facilement la température, il s’agit de surveiller assez souvent ses plats, témoigne Martine Herman. Il m’est arrivé plus d’une fois de trop cuire tellement cela peut aller vite. Désormais, je sais que je dois régulièrement ouvrir et jeter un œil quand je souhaite cuisiner dans mon poêle à bois.»

Ces nombreux mouvements donnent lieu à de fortes concentrations de fumée dans un espace confiné, ce qui, même si les bouffées ne sont pas visibles et épaisses, dégrade considérablement l’air. «Toute inhalation de fumée, quelle qu’elle soit, est toxique pour les structures broncho-pulmonaires, avance Renaud Louis, professeur à l’ULiège et pneumologue au CHU de Liège. En étudiant la santé de personnes qui cuisinaient régulièrement sur feu de bois, on a remarqué une forte propension au développement de bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO), des affections qui limitent le flux d’air dans les poumons et entraîne des difficultés pour respirer, classiquement observées chez les fumeurs.» Selon le spécialiste, vivre avec un feu de bois allumé en permanence, surtout s’il est ouvert de façon régulière ou perpétuelle, occasionne une pollution intérieure bien plus agressive et nocive qu’une pollution particulaire que l’on retrouve dans les rues d’une grande ville. 

Une exposition accrue à des substances cancérogènes

Outre les flux de fumée que la cuisson à même le brasier amplifie, le dépôt de ces émanations sur la surface des aliments pose aussi question. Possiblement plus encore que lors d’un barbecue, vu que la grille qui accueille les plats se trouve ici emmurée dans un volume réduit, concentrant davantage la fumée. Du carbone issu de la combustion du bois se dépose, et greffé à lui, de possibles métaux lourds. «Ceux-ci dépendent de la chimie environnante, du bois utilisé… mais il existe en tout cas un risque de formation de particules fines qui, ingérées, détériorent les muqueuses digestives», met en garde Renaud Louis. La fumée libère en outre des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) qui se déposent sur les denrées et s’y insèrent progressivement. Certains de ces hydrocarbures sont classés cancérogènes (ils augmentent surtout le risque de développer un cancer colorectal) et sont responsables de la détérioration d’ADN. 

«J’ai déjà constaté un goût de fumée prononcé lorsque mon plat est à l’air libre, relate Martine Herman. Je ne savais pas si c’était normal ou pas, mais je laisse à présent plus de temps de combustion aux dernières bûches pour éviter que cela se reproduise. L’idéal est de ne plus charger le feu pendant au moins deux heures avant d’enfourner.» Bien qu’ils ne soient pas toujours largement suivis, les marques de poêles à bois prévus pour cuisiner émettent de leur côté quelques recommandations, comme se limiter à des plats fermés qui mijotent longtemps, ou bien griller des aliments sur une plaque chauffée longtemps sur la braise puis extraite du foyer. 

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