dimanche, septembre 8

Les rebelles houthis du Yémen ont résisté aux régimes arabes qui leur ont fait la guerre. Ils séduisent désormais les populations musulmanes par leurs attaques en mer Rouge. Mais à quel prix?

Les Houthis du Yémen s’érigent en nouveau trublion de l’ordre mondial. En solidarité avec la cause palestinienne, le groupe basé au nord du Yémen a lancé depuis octobre une trentaine d’attaques contre des navires prétendument liés à l’Etat hébreu.

Les images de la prise spectaculaire du Galaxy Leader, le 19 novembre, ont beaucoup circulé dans le monde arabe, exaspéré par l’immobilisme de leurs propres Etats. Car hormis quelques actions militaires du Hezbollah libanais à sa frontière, aucun pays arabe n’a osé affronter l’Etat hébreu en solidarité avec Gaza.

« Nos décisions sont autonomes »

Ansar Allah, le nom officiel du groupe houthi, s’est donc accaparé la cause palestinienne avec fracas, gagnant la sympathie d’un peuple musulman et de pays du Sud global qui, souvent, ignoraient tout, jusqu’alors, de son existence.

«Nos prises de décision sont autonomes et nos actions militaires, qu’elles ciblent le territoire sioniste ou des navires en mer Rouge, ne prendront fin que lorsque l’agression contre la Palestine et le Yémen sera stoppée», affirme Mohammed al-Bukhaiti, un cadre houthi.

La rébellion houthie contrôle d’une main de fer le tiers le plus peuplé du territoire yéménite.

L’agenda des Houthis

Malgré une alliance avec le parrain iranien et l’axe de résistance chiite qu’il a constitué, les Houthis ne semblent pas être inféodés aux ordres de Téhéran.

Les rebelles yéménites ont un agenda: celui d’obtenir la reconnaissance d’une indépendance d’un Yémen du Nord qu’il gouvernerait après l’avoir envahi brutalement en 2014. Leurs attaques en mer Rouge ont ainsi pour but de faire pression sur la communauté internationale.

Sciences religieuses

Souvent associé à l’Iran en tant que mandataire armé des intérêts de Téhéran parmi d’autres, le groupuscule est avant tout une entité yéménite apparue après plusieurs contingences.

En 1999, leur fondateur Hussein Badreddine al-Houthi rentre du Soudan après avoir obtenu un DEA en sciences religieuses. Son mémoire portait sur l’histoire d’un chef religieux zaydite ayant régné sur le Yémen au XIe siècle. Un travail universitaire marquant son obédience zaydite, branche du chiisme dont la pratique est proche cependant du sunnisme.

La guerre contre le terrorisme

Les années suivant son retour au pays marquent un tournant dans la région. Les attentats du 11 septembre 2001 frappent les Etats-Unis. La lutte des Américains et de l’Occident contre le terrorisme secoue le monde musulman.

Les mouvements sunnites extrémistes deviennent des cibles en Afghanistan et en Irak. Bien que qualifiant les wahhabites saoudiens «d’ennemis détestables», Hussein al-Houthi appelle à ne pas cautionner la politique américaine qu’il considère comme impérialiste et oppressive.

L’appel au combat d’al-Houthi

Par ailleurs, Hussein al-Houthi se moque de ses pairs religieux qu’il décrit comme trop préoccupés par leurs productions savantes inutiles, et comme ayant perdu le réel message du Coran: la lutte.

Ainsi restent-ils silencieux devant la coopération du président yéménite Ali Abdallah Saleh avec le gouvernement américain dans son combat contre Al-Qaeda. «Des dizaines d’oulémas (NDLR: docteurs de la loi musulmane, juristes et théologiens) au Yémen ne bougent pas d’un pouce. Ils sont passifs. Alors qu’ils voient des navires de guerre allemands, américains, français, britanniques et israéliens se balader dans les eaux des pays islamiques, ils lisent et espèrent chercher une échappatoire au devoir et à l’obligation divine et coranique [d’appeler au combat]», martèle-t-il alors.

« Mort à Israël »

Le fondateur de la rébellion houthie cite avec passion l’ayatollah Khomeiny, sans faire référence au chiisme iranien, différent du zaydisme, mais plutôt en hommage à son combat contre les Etats-Unis et Israël.

«Il n’arrêtait pas de dénoncer un complot mondial fomenté par les “puissances arrogantes” pour affaiblir la nation islamique. Il pensait que le lobby juif agissait comme le véritable décideur d’ordres mondiaux», révèle Luca Nevola, spécialiste Moyen-Orient à l’Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled).

Selon l’universitaire Mohammed al-Mahfali, «le mot “juif” fut l’un des plus fréquemment mentionnés dans les discours d’Hussein al-Houthi, principalement accompagné de connotations négatives».

Le slogan de la milice yéménite: «Dieu est le plus grand, mort à l’Amérique, mort à Israël, malédiction sur les Juifs, victoire à l’islam», porte l’empreinte de l’idéologie de son fondateur.

Pour les Houthis, les attaques en mer Rouge relèvent du combat contre l’impérialisme américain. © getty images

Conflit interyéménite

Les messages d’Hussein al-Houthi infusent progressivement dans les villes du nord du Yémen. Certains chefs religieux reprennent les thèses de ce dernier durant leurs prêches jusque dans la capitale, Sanaa.

L’ambassadeur américain de l’époque, Edmund J. Hull, met alors le gouvernement yéménite sous pression, le menaçant d’un arrêt de son colossal financement annuel contre le terrorisme, en partie détourné, et d’autres aides au développement.

Le président Ali Abdallah Saleh accuse alors faussement le trublion de complot avec l’Iran et le Hezbollah libanais, lui prêtant même l’intention de rétablir un pouvoir religieux qui mettrait la république en péril.

Des rafles sont organisées parmi ses fidèles et la répression, d’abord policière, prend une dimension militaire à l’encontre des zaydites, pourtant majoritaires dans le nord. De nombreux Yéménites opposés aux discours d’Hussein al-Houthi finissent par le rejoindre après les exactions commises par le pouvoir à l’encontre de ses partisans.

Les Houthis envahissent le nord

Six guerres s’ensuivent, d’une grande violence. Hussein al-Houthi est tué en 2004. Ses hommes, qui ont basculé dans la lutte armée, donnent son nom au mouvement.

En 2014, alors que le gouvernement est sorti éreinté de trois années de printemps arabe, les Houthis en profitent pour envahir le nord du pays. Alors qu’il a été contraint de démissionner sous la pression des puissances du Golfe, le président Ali Abdallah Saleh et une partie de l’armée nationale les rejoignent.

Les femmes trop politisées, ils leur arrachent les ongles et leur retirent les sourcils.

Le soutien de la population

Les Yéménites qui refusent le joug des rebelles prennent la tangente dans le sud du pays. L’entrée en guerre d’une coalition menée par l’Arabie saoudite, inquiète de voir progresser une force chiite à ses frontières, n’y fait rien.

Les intenses bombardements menés pour éradiquer les Houthis font des milliers de victimes civiles, sans pour autant affaiblir le groupe. Pire, les rebelles se servent des exactions de la coalition, et associent l’Arabie saoudite à l’impérialisme américain et israélien pour s’adjuger le soutien des populations du nord. Depuis 2023, les Saoudiens, résignés, négocient avec les Houthis une sortie du conflit.

Au profit des dignitaires Houthis

Ansar Allah contrôle d’une main de fer le tiers le plus peuplé du territoire yéménite. Depuis 2014, le groupe n’a cessé de s’en prendre à toute forme d’opposition. Il a réduit les droits des femmes, déjà limités, favorisé le mariage avec des enfants et enrôlé de force des mineurs dans son armée. Il a imposé progressivement une violente théocratie obscurantiste.

En avril 2020, il a rétabli le khums, l’ancien impôt religieux remontant à l’imamat, régime qui a désigné des lignées de figures religieuses royales qui ont régné sur le Yémen du IXe siècle à 1962.

Aujourd’hui, il ponctionne de nouveau les activités économiques de la petite à la grande entreprise, à hauteur de 20%. L’argent collecté est ensuite versé aux familles yéménites dites «hachémites» revendiquant une lignée directe avec le prophète Mahomet. Beaucoup d’entre elles sont… de hauts dignitaires houthis.

Libertés des femmes réduites

Les programmes scolaires ont été modifiés depuis l’arrivée au pouvoir des Houthis. Les cours d’études islamiques et d’histoire suivent désormais l’idéologie du groupe. Les changements incluent des leçons vantant la prise de Sanaa par les Houthis en 2014 et qualifiant la guerre qui s’en est suivie de révolte contre «l’alliance américano-sioniste».

Les fonctionnaires chargés de l’enseignement, de la culture ou de la sécurité ont été remplacés par des militants adhérents du mouvement. Les libertés de culte et des mœurs ont, elles aussi, reculé. «Ils ont forcé les sunnites à prier comme eux, avec les bras le long des jambes. Ils ont interdit aux femmes de porter certains vêtements ou accessoires comme la ceinture, qu’ils saisissent et brûlent devant leurs yeux», raconte Noura al-Jarwi, ancienne présidente du Comité des sports des femmes de Sanaa.

La loi islamique « violée »

Des brigades féminines des mœurs ont été implantées pour contrôler les tenues et s’assurer de leur conformité aux nouvelles lois liberticides des Houthis à l’égard des femmes.

Le 20 janvier 2021, des responsables houthis s’en sont pris à des magasins de vêtements pour femmes à Sanaa, détruisant des mannequins exposés, affirmant qu’ils violaient la morale islamique, et qu’ils étaient responsables d’une corruption morale de la société.

Opposants assassinés

Des opposants politiques, des militants des droits de l’homme et plusieurs dizaines de journalistes ont été, depuis, systématiquement arrêtés, torturés ou assassinés. Les femmes ne sont pas épargnées par la fureur des rebelles. Celle-ci franchit la ligne rouge des codes de la société yéménite qui stipulent que l’arrestation ou le harcèlement d’une femme par un tiers étranger au cercle familial est une grave violation.

«Les femmes trop politisées, ils leur arrachent les ongles et leur retirent les sourcils. Ils les filment aussi quand ils les violent, en insistant sur leurs visages pour les contraindre au silence en échange de ne jamais partager les vidéos. C’est ce que les Houthis nous ont fait quand on a commencé à prendre part aux manifestations ou à exprimer nos désaccords», raconte Bardis Assayaghi.

Cette célèbre poétesse engagée a fui son pays en 2020 après plusieurs mois de détention et de supplices infligés par la milice.

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