Le gouvernement wallon veut fusionner les cinq gestionnaires de réseau de distribution d’électricité (GRD). Pour le moment, la facture des ménages varie légèrement selon leur lieu de vie.
A tout moment, les consommateurs peuvent changer de fournisseur d’électricité, en vue d’alléger leur facture. A moins de déménager, ils n’ont en revanche aucune prise sur les tarifs appliqués par le gestionnaire de réseau de distribution (GRD) desservant leur commune. Des centrales et éoliennes jusqu’au compteur du ménage, l’électricité parcourt d’abord le réseau (très) haute tension, sous la responsabilité d’Elia, avant d’être disséminée sur le réseau moyenne et basse tensions, sous la houlette des GRD. Il n’en existe qu’un seul en Flandre (Fluvius) et un en Région bruxelloise (Sibelga), mais cinq au sud du pays. Ores, de loin le plus grand, et Resa, en région liégeoise, couvrent à eux seuls «96,5% des points de fourniture d’électricité et la totalité des points de fourniture de gaz», résume une étude du consultant Schwartz and Co publiée en 2021 par la Commission wallonne pour l’énergie (Cwape). Le solde est réparti entre trois intercommunales plus petites: l’AIEG (quatre communes), l’AIESH (cinq) et le Réseau d’énergies de Wavre (REW).
Les coûts de réseau sont loin d’être anodins. Selon les dernières estimations de la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (Creg), arrêtées en février dernier, ils représentent 29% de la facture d’un ménage moyen en Wallonie et 23% à Bruxelles. Il faut encore y ajouter diverses taxes et surcharges, ainsi que la TVA, si bien qu’en changeant de fournisseur, un consommateur ne peut agir en réalité que sur 41% à 43% du montant de sa facture. Le poids de la composante «réseau» diminue toutefois nettement quand les prix de l’électricité s’envolent, comme ce fut le cas en 2022.
Quelles sont les différences de coûts en fonction du lieu de vie? Le Vif a fait les comptes au départ des prix appliqués par les GRD en 2025. En Région bruxelloise, un ménage consommant 3.500 kWh par an et doté d’un compteur bihoraire paiera 441 euros (TVAC) de frais de réseau, incluant la distribution et le transport. Ce calcul émane du simulateur en ligne de Sibelga. En Wallonie, entre 429 euros par an à l’AIEG et 505 euros à l’AIESH, selon les tarifs relayés par la Cwape. A consommation identique, il est donc plus cher de prélever de l’électricité à Chimay qu’à Andenne. Le directeur général de l’AIESH, Didier Wallée, justifie cet état de fait par la structure étendue et peu dense du territoire desservi, par la prise en charge de coûts régulatoires différés ou encore par la reprise du réseau couvinois en 2024. Du côté d’Ores, ce n’est que depuis 2024 que l’intercommunale applique un tarif commun à l’ensemble de son territoire. «Au regard des enjeux et des défis de la transition énergétique, avoir une vision non plus « géographique » de nos investissements mais une vision globale et d’efficience –permettant d’investir où cela a du sens et au bon moment– était indispensable», indique le GRD.
17% à 21% de hausse des coûts en 2025
Selon testachats, en 2025, les coûts de transport (Elia) et de distribution (GRD) ont augmenté en moyenne de 21% en Wallonie et de 17% à Bruxelles. Alors que le premier acteur doit préparer l’électrification massive attendue dans les prochaines années, massifier les interconnexions avec l’étranger et acheminer l’énergie produite en mer du Nord, les GRD investissent par milliards dans le réseau basse tension pour éviter les surtensions résultant de la production photovoltaïque, placer les nécessaires cabines électriques, les compteurs communicants… A elle seule, l’intercommunale Ores compte investir six milliards d’euros entre 2024 et 2038 dans les 200 communes qu’elle alimente, dont 1,8 milliard pour les cinq premières années. De son côté, Resa prévoit un investissement de près de trois milliards d’euros (gaz inclus) pour les 25 prochaines années.
«L’histoire récente a montré que la taille n’est pas nécessairement synonyme d’efficacité.»
Afin de gagner en «performance», terme si souvent répété par la majorité MR-Les Engagés, le gouvernement wallon a inscrit, dans sa Déclaration de politique régionale (DPR), sa volonté de mettre en place «un gestionnaire de réseau de distribution unique compétent sur l’ensemble du territoire wallon». Maintes fois évoquée ces deux dernières décennies, l’idée n’a jamais abouti. L’annonce a surpris plusieurs structures. «Un seul GRD en Wallonie est une fausse bonne idée, estime Didier Wallée. Derrière l’argument des économies d’échelle se cache en réalité un risque de perte d’efficacité, de centralisation excessive et de détérioration du service public. L’histoire récente a montré que la taille n’est pas nécessairement synonyme d’efficacité.»
Pour la ministre wallonne de l’Energie, Cécile Neven (MR), la démarche vise à permettre une «stratégie de développement à l’échelle régionale» qui ne soit «pas fonction du poids actionnarial mais des besoins et de l’état du réseau, précise-t-elle. Actuellement, l’existence de cinq GRD sur le territoire et le fait que la Région n’ait pas de représentant dans les organes de gestion de ces structures limite les leviers d’action opérationnels régionaux.»
Une fusion engendrera-t-elle un gain d’efficience? Pas nécessairement, avertissait l’étude de Schwartz and Co, en s’appuyant sur une comparaison internationale: «Le paysage actuel de la distribution de l’électricité et du gaz en Région wallonne ne présente pas d’inefficacité manifeste tant par rapport à la taille des structures qu’au nombre d’entités la composant. […] Une fusion pour aboutir à un GRD unique, même si elle semble permettre de dégager un gain d’optimisation initial, pourrait se traduire à moyen et long termes par une efficience globale moins bonne qu’en conservant plusieurs petits acteurs, si le leader de la fusion n’était pas un acteur efficient.»
Une conclusion que nuance Ores, précisant que l’étude ne portait pas sur les avantages et inconvénients d’un GRD unique en Wallonie et présentait un «échantillon très restreint de GRD, selon une méthodologie que nous avions contestée à l’époque». Ores se dit «neutre» quant à l’intention du gouvernement wallon mais entend y «contribuer de façon constructive, afin que les avantages mentionnés dans la DPR (uniformisation « vers le haut » de la qualité du service aux clients, procédures et tarifs identiques pour les clients partout en Wallonie, synergie dans les investissements, etc.) puissent être rencontrés.» Cécile Neven, elle, ajoute que «le gain financier n’est qu’une partie des objectifs poursuivis par la mise en place d’un GRD unique.»
Trois options pour la fusion
Trois options sont sur la table du gouvernement wallon: la mise en place d’une filiale d’exploitation commune, comme c’est le cas de Fluvius en Flandre, une fusion des GRD en une seule structure et enfin une dissolution, pour leur substituer une société de droit public instituée par décret. «Les communes seront évidemment consultées dans le cadre du dossier, mais cette consultation est prématurée, car l’exercice d’analyse et d’objectivation doit encore aboutir», pour fin 2025. «Avant mi-2026, le choix d’un modèle devra être fait et une feuille de route sera arrêtée», conclut la ministre.