jeudi, décembre 12

Alors que le PS entame un processus de refondation «sans tabous», la piste d’un changement de nom est évoquée. Une stratégie efficace? L’histoire politique rappelle qu’un changement d’étiquette n’est pas toujours synonyme de rebond électoral. Surtout si le contenu du flacon reste inchangé.

Le Parti socialiste est-il voué à disparaître? Lundi, la formation de gauche, en cure d’opposition forcée depuis sa débâcle électorale du 9 juin, a annoncé le début de son processus de refondation. Ce vaste chantier, qui s’échelonnera sur deux ans, se fera «sans tabous», a promis le président Paul Magnette. Y compris concernant le nom du parti. A l’instar de leurs homologues flamands du sp.a, rebaptisé Vooruit en mars 2021, les socialistes francophones pourraient ainsi se livrer à un profond rebranding dans les mois à venir.

Si le changement d’étiquette est encore loin d’être acté, la piste permet en tout cas de servir le narratif élaboré par les leaders socialistes, à savoir celui d’une profonde remise en question. «Cela fait vivre l’idée, dans l’espace public, que le parti est en pleine réflexion interne et est porté par une véritable volonté de changement, observe Thomas Legein, chercheur post-doctorant à la Vrije Universiteit Brussel (VUB). C’est un signal stratégiquement positif.» L’annonce s’apparente également à «une bouteille jetée à la mer», pour guetter subtilement les réactions des uns et des autres à ce changement potentiel d’identité, complète le chercheur.

Marqueur politique

Dans les faits, la direction du PS a sérieusement intérêt à s’interroger sur les conséquences (positives et négatives) d’un éventuel rebranding avant de franchir un tel cap. Car la recette ne livre pas toujours les résultats escomptés. Un changement de nom, c’est l’effacement d’une marque, rappelle Thomas Legein. Dans le cas du PS, cela signifierait également la disparition d’un marqueur idéologique (le socialisme) et de l’histoire qui lui est associée. «Lors de la refonte du CDH, changer de nom était primordial, car la marque était en perte de sens, estime le chercheur. Elle était en quelque sorte « périmée », et les résultats électoraux du parti confirmaient cette chute libre. Mais le PS n’est pas dans la même situation: malgré les revers aux derniers scrutins, cela reste une formation politique structurante dans le paysage politique francophone, dont l’image n’est pas complètement obsolète

D’autant que l’appellation «PS» dispose d’un certain ancrage idéologique sur la scène européenne, historiquement liée à la dimension de l’internationale ouvrière. «Généralement, l’adoption de noms plus modernes, plus creux idéologiquement (NDLR: En Marche, Les Engagés, Chez Nous…), est plus fréquente au sein des partis de droite ou des nouvelles formations politiques qui n’ont pas cet enracinement historique.»

Le fond avant la forme

Pour être courronné de succès, un changement de nom doit surtout être la traduction d’une véritable transformation. «Il doit être la conséquence d’une profonde mutation sur le fond, que ce soit dans le programme du parti, son leadership, sa manière de fonctionner ou son identité», note Pascal Delwit, politologue à l’ULB. Sans quoi la rupture avec les «casseroles» ou les stéréotypes historiquement associés au parti paraît illusoire. Pour le politologue, le timing de l’annonce de Paul Magnette pose d’ailleurs question. «Dans l’absolu, un changement de nom peut avoir du sens, mais l’annoncer en amont par hypothèse n’est pas la voie la plus porteuse historiquement.»

De nombreux changements de labels se sont d’ailleurs révélés infructueux ces dernières années en raison de cette absence de mutation «saisissante». Notamment celui du CVP (Christelijke Volkspartij) au début des années 2000. «Après une grosse défaite électorale en 1999, le parti a organisé un congrès de refondation, qui a débouché sur un nouveau nom – CD&V – deux ans plus tard, rappelle Pascal Delwit. Or, ce changement ne s’est opéré que sur la forme. On a là l’exemple d’une carpe rebaptisée en lapin, mais qui reste fondamentalement une carpe. D’ailleurs, depuis 2002, le CD&V chute à chaque élection, à l’exception du scrutin de 2014.» Le politologue pointe également la rebaptisation du PSC en CDH à la même époque. «Malgré une nouvelle personnalité qui l’incarnait (Joëlle Milquet), il était difficile de comprendre la direction que prenait le parti et le groupe qu’il ciblait.»

Autre exemple parlant: la transformation du FDF (Front démocratique des francophones, puis Fédéralistes démocrates francophones) en DéFi (Démocrate fédéraliste indépendant) en 2015. «Ce changement de nom, ça a été l’effacement d’une marque au succès relatif au profit d’une appellation assez floue, note Thomas Legein. DéFi, qu’est-ce que ça veut vraiment dire? Cette refonte a posé de nombreuses questions et n’a pas réussi à compenser le déclin qui attendait le parti sur les législatures qui ont suivi. »

Un succès à confirmer

A contrario, Vooruit a réussi son pari lors de sa refonte, estime Pascal Delwit. Au-delà de sa mutation idéologique, la nouvelle appellation a été soigneusement choisie. «Vooruit, c’était la grande maison du peuple du socialisme gantois à l’époque, ce qui est une référence claire pour la communauté socialiste flamande. Le nom a été modernisé sans renier les valeurs historiques du parti.»

Enfin, le succès fulgurant des Engagés au dernier scrutin tient à l’impression d’un véritable renouveau idéologique impulsé par Maxime Prévot. Une transformation pas si brutale dans les faits, mais qui a conduit de nombreux électeurs à se laisser convaincre. «Aux yeux d’une partie de l’électorat, les Engagés représentent aujourd’hui autre chose que le CDH», estime Pascal Delwit. Un succès qui devra se confirmer dans la durée. «Pour pouvoir conclure de la réussite ou de l’échec d’un processus de refonte, il faut attendre au moins deux ou trois législatures», tranche Thomas Legein.

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