Christine Lagarde (présidente de la Banque centrale européenne) veut une alternative aux sociétés américaines Visa et Mastercard. Elle cherche ainsi surtout à imposer l’euro numérique, affirme le professeur en gestion des risques Wim Schoutens. «Sur ce sujet, j’ai de sérieuses questions.»
Lorsque le président américain Donald Trump a annoncé, le 2 avril dernier, ses droits de douane à l’importation, Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, a immédiatement réagi: «Que vous payiez par carte bancaire ou via votre téléphone, votre paiement passe par Visa, MasterCard, PayPal ou Alipay. D’où viennent ces entreprises? Des Etats-Unis ou de la Chine.»
Christine Lagarde propose de mettre en place un système de paiement européen propre, indépendant des entreprises américaines ou chinoises présentes aujourd’hui dans tous les portefeuilles (numériques). Est-ce souhaitable? Le professeur Wim Schoutens (KU Leuven), spécialiste de la gestion des risques, donne des pistes de réflexion.
Est-il réaliste de remplacer les entreprises américaines Visa et Mastercard par une alternative européenne?
Wim Schoutens: Cela me semble très difficile. Un nouveau système de paiement ne se sort pas simplement d’un chapeau. Même si cela fonctionne techniquement, il faut encore convaincre les citoyens d’adopter ce système, alors que Visa et Mastercard sont très intégrés dans notre vie.
Devons-nous devenir moins dépendants de ces cartes bancaires américaines?
Le risque que notre système de paiement s’arrête à cause d’un jeu géopolitique de Trump est très faible. Si cela devait se produire, nous serions sans doute dans une situation de guerre. Devant les caméras, le jeu politique peut être rude, mais il y a tellement d’intérêts mutuels que Trump ne coupera certainement pas le courant à Mastercard ou Visa.
«Un nouveau système de paiement ne se sort pas simplement d’un chapeau. Même si cela fonctionne techniquement, il faut encore convaincre les citoyens.»
J’ai davantage peur d’un effondrement provoqué par une tempête solaire, où des particules magnétiques pourraient perturber notre réseau électrique. Dans ce cas, les lignes à haute tension ne fonctionneraient plus et tout ce qui dépend de l’électricité s’arrêterait, y compris notre système de paiement. Heureusement, une tempête solaire de cette ampleur ne se produit qu’une fois tous les quelques siècles. J’estime même cette probabilité plus élevée que celle où les Etats-Unis paralyseraient notre système de paiement d’une simple pression sur un bouton.
La proposition de Christine Lagarde est difficile à concrétiser et inutile. Pourquoi en parle-t-elle alors?
Il est possible qu’elle utilise cette crise comme excuse pour faire passer la Central Bank Digital Currency, le soi-disant euro numérique. L’utilité d’une telle monnaie numérique, gérée par la BCE, soulève de nombreuses questions. Les citoyens n’en ont pas besoin. Tant que le système de paiement actuel fonctionne correctement, personne n’attend une nouvelle application pour payer avec un euro numérique. En outre, une telle monnaie numérique de la BCE peut déstabiliser les banques centrales des pays européens. Si les citoyens conservent de l’argent directement géré par la BCE, cela retire du capital du secteur bancaire.
Et il y a encore de nombreux problèmes de respect de la vie privée. Techniquement, il est possible de créer un euro numérique tout en respectant notre vie privée, mais ce n’est pas le cas des propositions aujourd’hui sur la table. Dans sa forme actuelle, l’euro numérique serait ou deviendrait programmable. On pourrait alors y associer une date d’expiration, vous obligeant à dépenser votre argent avant un certain jour. Actuellement, 100 euros valent toujours 100 euros. Avec une monnaie programmable, cette certitude disparaît. C’est problématique. Cela ouvre la porte à un contrôle des Européens via le système monétaire, comme en Chine. Les gouvernements pourraient alors activer ou désactiver l’argent. Si un système de paiement européen devait conduire à une telle ingérence gouvernementale, je serais très préoccupé. Si la BCE exploite cette crise liée à Trump pour imposer l’euro numérique, ce serait préoccupant.
«Si la BCE exploite cette crise liée à Trump pour imposer l’euro numérique, ce serait préoccupant.»
Aujourd’hui, les données de nos transactions passent bien par Visa et Mastercard, qui sont entre des mains américaines. Ce n’est pas idéal non plus?
C’est le cas actuellement. Il faut être conscients de cette dépendance critique. Le même problème se pose avec des applications et services comme Gmail, Instagram ou Microsoft. Pour toutes ces choses, il faut examiner si l’on peut développer une alternative européenne à un coût acceptable. C’est un objectif souhaitable à long terme, que ce soit pour les masques, les médicaments, les réseaux sociaux ou les terres rares. Et il est vrai que cela s’applique aussi à notre système de paiement. Mais une indépendance totale est impossible dans ce monde interconnecté. Le mieux que l’on puisse faire, c’est créer une interdépendance mutuelle.
Préférez-vous payer avec Mastercard plutôt qu’avec l’application chinoise Alipay?
Si j’ai le choix, je préfère payer avec Mastercard. Même avec la politique de Trump, les valeurs américaines restent bien plus proches des nôtres que celles de la Chine, où les citoyens sont étroitement contrôlés. Espérons que Christine Lagarde ne parvienne pas à imposer son euro numérique programmable. Ce serait un pas dans la mauvaise direction.