jeudi, janvier 9

Mark Zuckerberg a annoncé, mardi, la suppression du fact-checking, auparavant géré par des organisations indépendantes, pour le remplacer par des «Community Notes». C’est désormais à la communauté de définir ce qui est ou non de la désinformation. Un jeu dangereux?

Se dirige-t-on vers un monde dans lequel la liberté d’expression a seule valeur, et où les fake news deviennent la norme? S’inspirant de ce qu’a fait son homologue Elon Musk avec X (ex-Twitter), le dirigeant de Meta, Mark Zuckerberg, a annoncé, mardi, la suppression du programme de fact-checking sur Facebook, Instagram et Threads, pour le remplacer par des «Community Notes». Mais pour l’heure, uniquement aux Etats-Unis.

Autrement dit, la véracité des informations partagées sur ces trois réseaux sociaux ne sera plus vérifée par des fact-checkers. Ce sera à la communauté de décider si telle publication ou telle image est potentiellement trompeuse et si celle-ci nécessite une mise en contexte. De telle sorte que «des personnes aux perspectives diverses décident quel type de contexte est utile pour les autres utilisateurs», indique Meta par voie de communiqué. «Nous pensons qu’il s’agit là d’un meilleur moyen d’atteindre notre objectif initial, à savoir fournir aux internautes des informations sur ce qu’ils voient, et d’un moyen moins susceptible d’être biaisé

La société américaine argue que ce changement de modération répond à des plaintes d’utilisateurs trouvant que Meta censure trop vite des contenus pourtant inoffensifs. Selon Mark Zuckerberg, «les fact-checkers ont été trop orientés politiquement et ont plus participé à réduire la confiance qu’ils ne l’ont améliorée, en particulier aux Etats-Unis». La firme de Mark Zuckerberg annonce, en outre, que les restrictions actuelles portant sur des sujets comme l’immigration et l’identité de genre vont être supprimées.

La porte ouverte à la désinformation?

Est-ce la porte ouverte à l’émergence des fake news sur les réseaux sociaux de Meta? L’entreprise s’en défend, mais «cela pose effectivement question», souligne Yves Deville, professeur à l’Ecole polytechnique de Louvain. «Il n’existe pas de système parfait, par l’ampleur des messages qui sont publiés chaque jour, mais considérer que le fact-checking est une forme de censure, c’est un discours qui envoie un message», estime Barbara De Cock, professeure de linguistique à l’UCLouvain. Quant au choix de Mark Zuckerberg de déménager son service «confiance et sécurité» de la Californie, un état progressiste, vers le Texas, bien plus conservateur, c’est un message très clair, selon elle.

Il faut bien comprendre que le premier objectif de Meta ou X est de compter un grand nombre d’utilisateurs.

Barbara De Cock

Professeure de linguistique à l’UCLouvain

Meta avance que ce changement de modération répondra à une volonté d’offrir une plus grande liberté d’expression aux utilisateurs, comme l’a promis Elon Musk pour X. «Sauf que Musk, en grand défenseur de la liberté d’expression, ne respecte pas tout à fait ces idéaux, puisqu’il utilise les algorithmes du réseau social pour mettre en avant les idées qui l’arrangent», indique Barbara De Cock. «Jusqu’à présent, Meta adoptait une position différente, mais les choses changent, et on se dirige de plus en plus vers une gestion des contenus à la Musk.»

Les relations entre Elon Musk et Donald Trump se sont resserrées depuis que l’homme le plus riche du monde a pris la tête de X. Mark Zuckerberg espère-t-il en faire autant? «Il est difficile de dire à quel point Donald Trump a influencé le choix de Meta. Mais la firme sent que le vent tourne et veut tourner dans ce sens», commente Barbara De Cock. «Il faut bien comprendre que Meta et X sont des entreprises avec des intérêts économiques. Leur premier objectif n’est pas de proposer du contenu de qualité, mais de compter un grand nombre d’utilisateurs.»

Mais supprimer le fact-checking et instaurer une modération par la communauté, c’est aussi prendre le risque qu’une partie des internautes désertent les plateformes. C’est en tout cas ce qu’il s’est passé et se passe encore sur X. Ainsi le mouvement HelloQuitteX invite les utilisateurs à supprimer leurs comptes le 20 janvier. Une date qui n’a pas été choisie par hasard, puisqu’il s’agit de celle de l’investiture de Donald Trump. Sa victoire à l’élection présidentielle avait par ailleurs déjà coûté à X environ 115.000 suppressions de comptes, aux Etats-Unis.

«Super» ou «dangereux»?

Les réactions ne se sont pas fait attendre. Sans surprise, de la part d’Elon Musk, d’abord, qui s’est fendu d’un laconique «c’est cool», sur son propre réseau social. De Donald Trump, ensuite, qui s’est enorgueilli d’avoir «probablement» influencé la décision de Mark Zuckerberg, en raison de menaces qu’il avait proférées par le passé. Ajoutant qu’avec ce changement, Meta et Facebook avaient fait «beaucoup de progrès».

La journaliste philippine et prix Nobel de la paix, Maria Ressa, a aussi commenté la décision de Meta, se montrant toutefois beaucoup moins dithyrambique. C’est un euphémisme. Elle met en garde contre une «époque extrêmement dangereuse» pour le journalisme. «Mark Zuckerberg dit que c’est pour des questions de liberté d’expression. C’est complètement faux, a-t-elle déclaré dans un entretien accordé à l’AFP. Ce n’est que si vous êtes motivé par le profit que vous pouvez prétendre cela, que si vous voulez du pouvoir et de l’argent que vous pouvez prétendre cela. Il est question ici de sécurité

L’Union européenne s’y opposera… par principe

Pour l’heure, Meta a annoncé que les Community Notes seront d’abord déployées aux Etats-Unis «au cours des deux prochains mois». Qu’en est-il en Belgique, et plus largement dans l’Union européenne? Celle-ci s’opposera-t-elle à la modération non plus par des organisations indépendantes, mais bien par les internautes? Bernard Mouffe, avocat spécialiste du droit des médias, répond par l’affirmative, mais nuance: «C’est plutôt une opposition « de principe »».

«Un des buts, si pas le premier, du Règlement DSA (Digital Service Act) est de lutter efficacement contre la désinformation en ligne. L’intention de l’Europe, en l’édictant, est bien de freiner la désinformation», indique le maître de conférence. Le problème, c’est que la DSA ne peut tout régler de manière efficace. C’est pourquoi, «avant même son adoption, la Commission européenne avait « jugé utile » de faire signer aux partenaires et réseaux sociaux le Code des bonnes pratiques en matière de désinformation», poursuit Bernard Mouffe. Parmi ces réseaux sociaux, Meta, qui a signé, en 2022, un engagement moral et éthique. «C’est évidemment très européen comme démarche. Ou pour le dire autrement, très peu étasunien ou chinois.»

Le réseau social plaidera n’avoir aucune prise sur ce qui est ajouté, renvoyant la responsabilité sur la communauté mondiale des contributeurs.

Bernard Mouffe

Avocat spécialiste du droit des médias

La récente décision de Meta viole donc ce Code de bonnes pratiques, et l’Union européenne peut réagir, car le Règlement DSA prévoit des sanctions en cas de violations, à savoir des amendes financières pouvant aller jusqu’à 6% du chiffre d’affaires de l’entreprise. «C’est tout un dossier qui doit être longuement instruit avant d’aboutir à une éventuelle sanction. Entretemps, la désinformation aura très largement fait son office», regrette l’avocat.

Quant à la mise en place des Community Notes, plus spécifiquement, il conclut qu’il s’agit pour Meta d’un moyen de se déresponsabiliser: «Le réseau social plaidera n’avoir aucune, ou quasi aucune, prise sur ce qui est ajouté, renvoyant la responsabilité sur la communauté mondiale – et donc diffuse – des contributeurs.»

«C’est pas ma faute, c’est lui qui a dit des choses pas sympas…»

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