dimanche, octobre 27

Prévue pour 2028 en Wallonie, la réforme des droits de succession atténue en grande partie une taxation jugée démesurée, tant par les fiscalistes que les contribuables. La classe moyenne pourra économiser jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros.

Pour Murielle(*), ce fut la double peine il y a quelques mois. Après le décès de sa sœur, avec qui elle habitait à Ans, elle hérite de l’intégralité de son patrimoine: la petite maison où elle vit, estimée à 130.000 euros, ainsi que 15.000 euros sur un compte bancaire. Une bouffée d’air financière? Bien au contraire. Car jamais les deux sœurs n’avaient pris une quelconque disposition pour devancer cette éventualité. Murielle n’est, par exemple, pas cohabitante légale, ce qui lui aurait permis de bénéficier de droits de succession réduits sur le bien immobilier. Du jour au lendemain, la voilà de ce fait amenée à verser 58.125 euros au SPF Finances, ce qu’elle n’a pas. Pour éviter de perdre son toit, elle n’a d’autre choix que de vendre la maison sous le régime du viager. Ce cas de figure, rapporté par Martin Vanden Eynde, fondateur du bureau Successio, accompagnant les héritiers après un décès, est révélateur du fardeau que peut représenter le paiement des droits de succession.

«On vit chichement, mais on meurt riche», s’exclama récemment un agriculteur, frôlant littéralement la crise cardiaque en découvrant le montant des droits de succession qu’il devait verser. Riche, non pas d’un généreux pactole sur un compte bancaire, mais de la valeur de terres agricoles et de l’exploitation familiale. Comment allait-il pouvoir sortir de sa poche une somme aussi conséquente, si ce n’est en vendant une bonne partie des terres héritées, sabrant ainsi dans le terrain de son futur labeur? Des scénarios tels que celui-ci, Vincent Sepulchre en voit des dizaines en tant qu’associé à la srl Sogef, spécialisée dans la fiscalité des entreprises et la planification patrimoniale. «Si les personnes qui nous consultent ont un certain patrimoine, je peux vous dire qu’au moins 90% d’entre elles sont incapables de payer les droits de succession dans le délai légal de six mois à dater du décès», raconte celui qui est aussi professeur à l’ULB, à l’ULiège et à l’ESSF Ichec.

Des droits de succession confiscatoires

L’histoire ne dira jamais si, en vertu des taux que la Wallonie prévoit pour 2028, Murielle aurait pu garder sa maison, et l’agriculteur l’intégralité de ses terres. Quoi qu’il en soit, la réforme soulagera un peu plus les esprits et les finances des héritiers ou légataires, en particulier ceux –frères, sœurs, oncles, tantes, neveux, nièces ou toutes autres personnes– qui n’entrent pas dans le giron de la «ligne directe». Dans le sens ascendant, cette dernière concerne les parents, grands-parents, arrière-grands-parents. Dans le sens descendant, les enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants. Les époux et partenaires cohabitants légaux bénéficient eux aussi des taux les plus bas, culminant tout de même à 30% pour les tranches les plus élevées. Ces derniers ne paient toutefois rien en droits de succession sur la partie nette du logement familial.

En divisant la plupart des taux par deux, la Wallonie atténuera, en une seule opération, le caractère de plus en plus confiscatoire de cette taxation, dont les paliers n’ont plus été indexés depuis… 1978. «Car entre-temps, le coût de la vie a été multiplié par 3,6 et celui de l’immobilier, par dix», rappelle Vincent Sepulchre. En tenant compte d’une inflation de 360% en 46 ans, un patrimoine de 360.000 euros ne devrait en valoir que 100.000 en matière de droits de succession. «L’intention de la Wallonie est donc tout à fait louable, salue le fiscaliste. Cela revient à remonter un peu dans le temps. Plutôt que d’ajuster les taux, elle aurait pu tout aussi bien choisir d’élargir les tranches d’imposition

Logiquement, le gain de la future réforme varie considérablement selon l’ampleur du patrimoine et les héritiers ou légataires choisis. «Tout le monde n’a pas accès aux services sur mesure des banques, souvent réservés aux personnes les plus riches, commente le notaire Renaud Grégoire, porte-parole de Fednot. C’est en cela qu’on considère le rôle social du notaire comme essentiel. Quand on change de situation, de mode de fonctionnement ou quand on vend sa maison, il est certainement utile de prendre rendez-vous», le premier étant gratuit.

Des évolutions bien réelles

Avec son équipe, Renaud Grégoire a sorti trois cas concrets des dossiers récemment traités par son étude (voir ci-dessous), pour les soumettre au Vif. Deux d’entre eux illustrent non seulement les montants considérables des droits de succession à payer, mais aussi la véracité des évolutions significatives dans la composition des ménages. Entre 1994 et 2023, la part des couples sans enfants (mariés ou non) dans le total des ménages belges a légèrement progressé, passant de 24,4% à 24,8%. «Le nombre moyen d’enfants par femme est en diminution depuis plus de dix ans, passant de 1,86 en 2008 à 1,52 en 2022, analysait par ailleurs le Bureau fédéral du plan (BFP), dans un article publié en février dernier. Ceci s’explique notamment par un report des naissances en période de crise(s), mais aussi par une diminution du nombre d’enfants souhaités par les couples suite à l’évolution sociétale.» De ce fait, le BFP a revu ses perspectives démographiques à la baisse. Notamment du fait du vieillissement de la population, la proportion de ménages d’une seule personne est, elle, passée de 29,8% à 35,9% sur la même période.


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Faites défiler les images avec les flèches pour découvrir trois cas illustrant la différence des droits de succession à payer, avant et après la réforme annoncée.


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Faites défiler les images avec les flèches pour découvrir trois cas illustrant la différence des droits de succession à payer, avant et après la réforme annoncée.


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Dans ce contexte, il n’est pas illogique que les proches d’un défunt soient, davantage que par le passé et plus encore dans les prochaines décennies, des personnes plus lointaines dans l’arbre généalogique, voire totalement étrangères à celui-ci. Or, dans ces cas de figure, les taux actuels des droits de succession peuvent grimper jusqu’à 80%. Certes moins importante pour les héritages les plus courants ou les plus petits patrimoines, cette fiscalité n’en reste pas moins vécue comme une injustice, si pas du vol, pour les citoyens lambda qui y sont confrontés. En particulier lorsqu’ils apprennent que les plus nantis peuvent, eux, se voir proposer un arsenal de leviers d’optimisation fiscale, par l’entremise d’avocats et de l’une ou l’autre banque.

Un comble, puisque c’est précisément à des fins d’équité que la progressivité des droits de succession a initialement vu le jour. «Ceux-ci résultent de la reconnaissance de la propriété privée pour tous les citoyens, instituée lors de la Révolution française, rappelle Vincent Sepulchre. Chaque année, l’Europe produit par ailleurs des rapports intitulés « Taxation Trends« , dans lesquels elle mesure notamment le rapprochement des citoyens par la propriété. Ce que j’en retiens, c’est que nous sommes l’un des pays où les distorsions de propriété sont les moins élevées au monde. Ce que saluent nombre de personnes, pourtant nettement moins enthousiastes le jour où elles sont réellement confrontées à un décès. C’est ce que l’on appelle la « double peine ». Trop souvent, le bon impôt est celui qui est payé par les autres

«Sur le plan patrimonial, la fiscalité devrait être neutre par rapport aux choix de vie.»

Vincent Sepulchre

Professeur (ULB, ULiège, ESSF Ichec) et associé de la srl Sogef.

Si la Wallonie élargit en parallèle le spectre des taux moins prohibitifs à certaines catégories d’héritiers, notamment dans les familles recomposées, elle ne remédie pas pour autant à toutes les différences de traitement, sur lesquelles elle a pourtant la main. Au sud du pays, les époux et cohabitants légaux restent, par exemple, privilégiés par rapport aux partenaires ne répondant pas à ce statut légal. «A l’heure où l’on prône la tolérance de tous les modes de vie, de toutes les identités, la fiscalité des droits de succession est telle qu’elle va inciter un couple heureux mais contre le mariage à renoncer à ses convictions, déplore Vincent Sepulchre. De même, pourquoi la succession (mari ou enfants) d’une dame propriétaire de terres agricoles peut-elle bénéficier d’un taux réduit si cette dernière est mère au foyer, mais pas si elle travaille hors de l’exploitation? Sur le plan patrimonial, la fiscalité devrait être neutre par rapport aux choix de vie.» A en juger par certaines réformes déjà en vigueur en Flandre et en Région bruxelloise, de tels ajustements n’apparaissent pas insurmontables en vue de l’échéance de 2028.

(*) Nom d’emprunt

A Bruxelles, des taux proches de la Wallonie

Dans l’attente du futur gouvernement bruxellois, il est prématuré d’envisager une réforme des droits de succession dans la Région-capitale. Si les tranches d’imposition diffèrent par rapport à la Wallonie, les taux restent relativement proches. En ligne directe, ceux-ci varient entre 3% et 30%. Entre frères et sœurs, de 20% à 65%. Entre toutes autres personnes, de 40% à 80%… Dans ces trois cas de figure, les taux marginaux, c’est-à-dire ceux qui s’appliquent à la tranche imposable la plus élevée, sont d’ailleurs identiques à ceux de la Wallonie. A l’instar de la Flandre, la Région bruxelloise est toutefois en avance sur un point non négligeable par rapport au sud du pays: depuis le 1er janvier 2024, elle ne distingue plus, d’une part, les époux ou cohabitants légaux et, d’autre part, les couples non mariés ou cohabitants de fait. Ainsi, les personnes domiciliées ensemble depuis au moins un an ne paient pas plus de droits de succession et de donation que les couples mariés et les cohabitants légaux. Contrairement à la Flandre, elles ne sont toutefois pas exonérées des droits de succession sur le logement familial, comme c’est le cas pour les époux et cohabitants légaux.

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