En Wallonie, le nombre de communes où les éoliennes sont bien implantées reste faible. En cause: des procédures administratives complexes, souvent bloquées par des riverains mécontents de l’arrivée des géantes tours sur leur territoire. Pourtant, le vent devra bientôt faire tourner de nouvelles pales, si la Région wallonne veut respecter les plans de la Commission européenne.
S’il y a bien un sujet qui revient lors de chaque élection communale, c’est celui des éoliennes. Placardées dans les communes aux quatre coins de la Wallonie, des affiches réalisées par des associations de riverains s’opposent à la construction de nouvelles éoliennes sur leur territoire. Pollution sonore, effet stroboscopique, déforestation, destruction de la faune et de la flore… Les arguments d’opposition à ces grandes tours qui produisent de l’électricité grâce au vent ne manquent pas. Et la mobilisation de terrain, efficace, entrave leur installation parfois des années durant.
Mais où en est le développement de l’éolien au sud du pays? Les données du Service Public de Wallonie Energie, reprises dans la carte interactive ci-dessous, permettent de se faire une idée sur la question. Tout de suite, un constat saute aux yeux: la puissance éolienne connait un développement épars dans les communes wallonnes. Les 1.423 mégawatts (MW) qui y sont développés se concentrent dans une soixantaine d’entités sur les 381 qui occupent le territoire. Avec une puissance éolienne de 80 mégawatts (MW), la commune d’Estinnes, près de Mons, est celle qui produit le plus d’énergie par ce biais. Suivent Villers-le-Bouillet (59 MW), dans la province de Liège, et Beloeil (55 MW), à côté de Tournai. À l’inverse, une grande majorité d’entités affichent un zéro pointé au compteur de la puissance éolienne installée sur leur emplacement.
Éoliennes: pourquoi ça bloque
Comment expliquer ce contraste important entre les différentes communes wallonnes? «La situation est bloquée à plusieurs niveaux depuis des années, lance Arnaud Collignon, spécialiste Energie chez Canopea. Les procédures administratives sont longues et complexes. Et en termes d’installation, c’est l’anarchie: la logique qui prime est celle du premier arrivé, premier servi.» Dans la pratique, le développement des projets se ferait en vase clos, entre propriétaires terriens et opérateurs chargés de la mise en route des éoliennes. Une jungle dans laquelle les autorités n’arriveraient pas à faire la loi, et où des projets se retrouvent en concurrence sur certains espaces.
«Les procédures administratives sont longues et complexes. Et en terme d’installation, c’est l’anarchie: la logique qui prime est celle du premier arrivé, premier servi»
Un blocage de longue date que les gouvernements wallons successifs – qui se sont cassés les dents sur le dossier – ne sont jamais parvenus à régler. En 2013, Philippe Henry, lors de sa première expérience en tant que ministre wallon de l’Energie, tentait une cartographie du chantier éolien. Au programme: lancement d’études à tout va pour évaluer les potentialités techniques d’une implantation des éoliennes dans le respect des habitats, de la biodiversité et du paysage. «L’objectif était d’analyser la meilleure façon d’implanter l’éolien, avec une logique de regroupement plutôt que d’éparpillement sur le territoire, se souvient Arnaud Collignon. Mais les bourgmestres, à l’époque, ont eu peur que la Région wallonne leur impose l’installation d’éoliennes dans leur commune.» Le projet, également critiqué par des chercheurs universitaires, restera donc à l’état de projet.
Un parcours semé d’embûches…
Pour passer de la modélisation d’un projet de parc éolien à sa mise en place, il faut surmonter une multitude d’obstacles. Avant toute chose, un permis unique, regroupant les permis d’environnement et d’exploitation (soit l’aménagement du territoire) est nécessaire. Les développeurs éoliens doivent demander ce permis à la Région, qui mandate deux délégués-fonctionnaires à cet effet. Ceux-ci seront amenés à se positionner, après consultation de l’avis d’une vingtaine d’instances diverses et variées, lors d’une étude d’incidence. Sont consultées également les communes concernées, en ce compris leurs habitants. Et c’est surtout là que le bât blesse.
«L’éolien étant une technologie relativement nouvelle et méconnue du grand public, on constate encore beaucoup d’opposition émanant du terrain, relaie Johanna D’Hernoncourt, experte des projets éoliens au sein de l’association Energie Commune. La multiplication des projets dans certaines zones ne rassure pas les riverains, qui ne peuvent pas savoir quels projets sortiront véritablement de terre.»
«L’éolien étant une technologie relativement nouvelle et méconnue du grand public, on constate encore beaucoup d’opposition émanant du terrain»
Une incompréhension et un flou qui provoquent un grand nombre de recours, aux quatre coins de la Wallonie. Johanna D’Hernoncourt confirme d’ailleurs qu’il est «très très rare» qu’un projet éolien reçoive un permis unique sans avoir fait l’objet de recours, qui peuvent se voir opposés des contre-recours de la part des développeurs. C’est alors au cabinet du ministre de l’Energie de trancher. Une fois l’affaires réglée, le dossier arrive dans les mains du Conseil d’Etat, qui s’exprime sur les aspects technico-juridiques de la chose. Une succession d’étapes qui peut faire durer l’attente jusqu’à cinq ans pour les opérateurs éoliens.
…qui immobilise des sources d’énergie renouvelable
Ce méli-mélo qui entoure l’implantation de nouvelles éoliennes n’est pas sans conséquence. D’après l’experte d’Energie Commune, voici la puissance énergétique potentielle qui était immobilisée au 31 décembre dernier: 3273 MW pour les projets à l’épreuve de l’étude d’incidence, 885 MW pour les projets qui ont subi un ou plusieurs recours, et 126 MW pour les projets qui attendent une réponse suite à une demande de permis. «Le chiffre concernant les projets à l’épreuve de l’étude d’incidence est relatif, car il contient des projets éoliens qui parfois veulent s’installer dans un même village, alors que ceux-ci doivent être espacés d’au moins cinq kilomètres pour ne pas encercler le territoire», explique Johanna D’Hernoncourt.
Que compte faire le gouvernement wallon?
Le mot ‘éolien’ revient à deux reprises dans la Déclaration de politique régionale (DPR) du gouvernement wallon, dans le passage suivant: «Le cadre de développement éolien sera révisé afin d’atteindre les objectifs de la législation européenne. Le Gouvernement veillera à sécuriser les procédures administratives tout en assurant la balance des intérêts avec les intérêts paysagers, les impacts sur la biodiversité, la santé et le respect du cadre de vie des citoyens. Une révision du décret visant à définir des zones d’accélération des énergies renouvelables sera réalisée avec pour objectif notamment d’exclure de ce mécanisme préférentiel les éoliennes en zones forestières et naturelles et le photovoltaïque dans les parcelles agricoles.»
Suffisant pour s’aligner sur les ambitions de l’Union européenne, qui demande aux Etats-membres de produire 45% d’énergie renouvelable d’ici 2030? «La lecture de la DPR ne permet pas de savoir ce que le gouvernement souhaite faire de l’éolien, critique Arnaud Collignon. Alors qu’il faut une replanification complète du système, à la manière de ce qui avait été tenté en 2013».