lundi, mai 20

Quel bilan tirer du travail des députés ? Quels sont ceux qui ont fait le job et ceux qui l’ont joué plus dilettante? Alors que les législatures s’achèvent, Le Vif se penche sur l’activité du parlement wallon.

Méthodologie et explications (cliquez sur cet encadré pour lire l’article introductif)

Comment évaluer les députés? Peut-on distinguer les bons des moins bons élèves? Les plus présents sont-ils les plus impliqués, les plus efficaces? Une radioscopie des travaux de tous les élus francophones du pays devrait permettre de se faire une idée.

Pour rappel, ce «métier» de parlementaire est défini dans la loi: légiférer, contrôler l’action de l’exécutif et estimer les politiques publiques. Les critères retenus pour établir un palmarès correspondent donc aux différentes fonctions assignées aux assemblées parlementaires. Dès lors, il s’agit, pour chaque élu, d’apprécier sa force de proposition (nombre de propositions de loi, de résolution, de décret ou d’ordonnance déposé), la défense de ses positions (nombre d’amendements) et son travail de contrôle ou d’évaluation (questions écrites, orales, d’actualité et, surtout, interpellations).

Cette recension permet de dresser un portrait objectif, même s’il ne manquera pas de faire grincer des dents ou de provoquer des haussements d’épaules. Il sera dit qu’il est incomplet, qu’il ne tient pas compte de l’activité et du temps, non «mesurables», que les parlementaires consacrent aux électeurs, hors de l’hémicycle. Etre député, c’est aussi se rendre à des colloques, des missions d’information, rencontrer les citoyens… Rédiger une proposition de loi exige du temps de recherches, de préparation, d’entretiens. Déposer des amendements réclame d’en vérifier la qualité et la solidité juridique. Ecrire un rapport peut demander des heures d’auditions. Les indicateurs utilisés ne reflètent sans doute pas les nuances de la fonction, mais proposent des critères objectivables.

«Etre parlementaire, c’est appartenir à un groupe. Le député n’est pas un électron libre, note Emilie van Haute, professeure de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Dans un groupe politique, une dynamique s’instaure, les tâches sont réparties.» Raison pour laquelle l’examen des moyennes par parti est aussi important que les résultats d’un député indicateur par indicateur. Ainsi, dans certaines formations (chez Les Engagés, par exemple), chaque proposition de texte doit obligatoirement passer par le chef de groupe, dans d’autres (au PS, notamment), chaque élu cosigne les propositions de texte. Une règle qui rend le travail individuel moins visible et mesurable. Au sein d’un petit groupe, les élus s’impliquent logiquement davantage, la masse de travail à partager se distribuant entre un nombre plus réduit de parlementaires. Leurs membres affichent alors parfois des scores élevés.

«Etre parlementaire, c’est appartenir à un groupe. Le député n’est pas un électron libre.»

Emilie van Haute

Professeure de sciences politiques

De fait, les élus de la majorité sont plus nombreux et disposent donc de moins d’espace pour exister. Surtout, la majorité suit généralement, ce qui laisse peu de place aux amendements et interpellations. Etre député de la majorité, c’est être tenu par l’accord de gouvernement, ce qui conduit aussi à déposer moins de propositions de loi, de décret ou d’ordonnance.

Peu de «députés fantômes»

Il est vrai que les chiffres tendent à uniformiser les pratiques. En effet, selon Jean Faniel, politologue et directeur général du Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp), «tous les députés ont un profil particulier». Entre un député de la majorité et un député de l’opposition, un chef de groupe ou un expert dans quelques sujets pointus, un généraliste intervenant sur de nombreuses matières et un élu désigné par son groupe à la fabrication de la loi, les données peuvent varier. Les chiffres, encore, ne disent pas qu’il reste plus difficile pour un élu n’appartenant à aucun groupe de prendre la parole en séance (DéFI, par exemple, a droit à une seule question d’actualité) ou que la préparation des questions écrites, que certains députés produisent par dizaines, est très souvent dévolue aux assistants parlementaires et que leur rédaction peut être très rapide. Un outil relativement facile à utiliser, avantageux en temps et en énergie, que le député peut employer tant qu’il veut, puisque les questions écrites ne sont pas contingentées.

L’activité, quant à elle, est à quantifier par le taux de présence. L’assiduité en séances plénières lors des votes a été recensée. Il s’avère que les «députés fantômes» sont tout de même rares et que les taux de présence s’avèrent similaires dans les différents parlements. Peu sont susceptibles d’une retenue financière sur leur indemnité (à partir d’un score inférieur à 80% en séance plénière et, depuis 2019, en commissions). Depuis 1993, les sanctions ont fortement réduit l’absentéisme dans l’hémicycle. En moyenne, un à trois élus seraient pénalisés chaque mois pour trop d’absences en plénière. Cette moyenne serait stable d’une législature à l’autre. Les règlements des assemblées précisent le mode de calcul des présences: le député doit participer «à la majorité des votes nominatifs». En résumé, il faut le vouloir pour être sanctionné.

Un baromètre pertinent

Le taux de présence doit toutefois être relativisé: il suffit de ne venir qu’au moment des votes (et suivre les séances en direct depuis son bureau de parlementaire tout en travaillant sur d’autres dossiers) pour être comptabilisé, ou de faire simplement acte de présence en commission tout en se consacrant, en réalité, à d’autres tâches.

Reste la question de députés qui ne siègent plus, ou seulement durant de courtes périodes hachées, pour raison médicale. Ceux-là perçoivent une rémunération complète ainsi qu’une indemnité totale, tant qu’ils sont couverts par un certificat médical. Voilà deux ans, le parlement flamand a modifié son règlement. Désormais, le parlementaire en arrêt maladie se voit infliger une retenue de 40% sur son indemnité, après 30 jours d’absence. La règle ne s’applique pas ailleurs, les partis, notamment le PS et le MR, n’y étant pas favorables. Malades, ils ne cèdent pas non plus leur place. Un seul cas de figure est prévu où un parlementaire peut être remplacé: s’il entre au gouvernement, son suppléant ou sa suppléante prend alors sa place.

L’exercice, cependant, demeure un baromètre pertinent. Il écarte un biais majeur: l’inventaire recouvre la législature et, en cela, tempère une éventuelle course aux chiffres. En outre, il offre aux électeurs un indicateur précis de l’implication de leurs députés aux travaux, mettant en lumière des «cracks» et des personnalités n’étant pas nécessairement les mieux notées. Aussi, le palmarès laisse apparaître des parlements divisés en trois: des (très) actifs, des «peut mieux faire» et des «invisibles». Les très actifs arrivent en tête, ils ne sont pas forcément médiatiques. Les «peut mieux faire» se situent dans le milieu du classement, ils ne brillent pas par leur activité, sans pour autant démériter. Enfin, il y a les «invisibles», qui ferment la marche et dissimulent, parfois, leur faible activité derrière des textes cosignés et des questions écrites.

Méthodologie

L’exercice a été réalisé à partir des données collectées depuis le début de la législature dans les comptes rendus officiels des séances plénières et des commissions, ainsi que sur les sites des assemblées. Il dresse, par groupe, le bilan des députés francophones siégeant dans les différentes assemblées: Chambre, parlements de Wallonie, bruxellois et communautaire. Le Sénat ayant vu ses compétences réduites et se réunissant à un rythme moindre, n’a pas été retenu.Pour chaque député, les points ont été comptabilisés de juin 2019 à avril 2024 en tenant compte des critères suivants:
– le nombre de questions orales, d’actualité, écrites, d’interpellations;
– le nombre de rapports écrits.
L’addition de ces critères et une moyenne permettent d’apprécier l’investissement dans le travail législatif. Ont également été prises en compte les présences en séances plénières.

Le parlement de Wallonie compte 75 députés, soit 23 PS, 19 MR, douze Ecolo, onze Les Engagés et dix PTB. La moyenne de la productivité parlementaire de cette assemblée s’élève à 528 points. En tête des scores de ce bulletin des députés wallons: François Desquesnes (Les Engagés, par ailleurs président de groupe), largement devant, suivi d’André Antoine (Les Engagés), Jacqueline Galant (MR), Jean-Luc Crucke (Les Engagés) et Germain Mugemangango (PTB, l’un des rares visages connus du parti, hormis Raoul Hedebouw).

En queue de classement du bulletin des députés wallons : Gaëtan Bangisa (PS, remplaçant, depuis mai 2023, de Maxime Hardy et totalisant 21 semaines d’activité), Jean-Claude Marcourt (PS, président du parlement jusqu’en décembre 2022), Anouk Vandevoorde (PTB, ayant pris trois congés de maternité successifs et plusieurs fois sous certificat médical de longue durée), Sophie Mengoni (PS, remplaçante, depuis avril 2023, de Paul Furlan, décédé) et Amandine Pavet (PTB, ayant pris un congé de maternité et comptabilisant plusieurs certificats médicaux). Rudy Demotte, lui, affiche une activité parlementaire nulle. Le socialiste préside le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la coutume veut que les présidents d’assemblée ne se rendent pas dans l’autre parlement. Une tradition, donc, pas une absence…

La suite de l’article sous l’infographie qui présente les meilleurs et les pires élèves de ce bulletin des députés wallons

Si l’on analyse les résultats par formations politiques, on remarque que sur les 23 élus PS, trois se situent au-dessus de la moyenne de ce bulletin des députés wallons, quand celle du PS s’élève à 330. Il s’agit de Eddy Fontaine, suivi de Michele Di Mattia et Sabine Roberty.

«On les entend beaucoup, parfois à tort et à travers.»

Leurs collègues libéraux sont six sur 19 à franchir la moyenne de ce bulletin des députés wallons. L’une d’entre eux se démarque. Jacqueline Galant se classe en effet en tête des questions écrites, relayant presque exclusivement les préoccupations locales. La moyenne du MR pointe à 494.

Les écologistes, dont la moyenne atteint 577, voient six députés sur douze dépasser la moyenne du parlement.

Bulletin des députés wallons: la prime à l’opposition

Du côté de l’opposition, Les Engagés sont quasi tous au-dessus de la moyenne (neuf sur onze). Leur moyenne grimpe à 968. Le PTB, lui, en classe quatre sur dix et affiche une moyenne de 528.

Les résultats bruts offrent sans aucun doute une prime à l’opposition, qui recourt nettement plus souvent aux questions et aux interpellations – le nombre de ces dernières se chiffre à près de 600, contre 258 lors de la législature précédente.

A noter que le PTB, passé de deux à dix députés en 2019 (presque autant que Les Engagés), joue son rôle d’opposition pour y transmettre ses idées, le parlement leur offrant une visibilité et une tribune. Il forme désormais un groupe politique – il faut être cinq députés, au minimum, au fédéral et en Wallonie, sept à Bruxelles. Le parti peut donc influer sur l’agenda du parlement et voter en commission. Mais ses représentants se veulent avant tout le relais de la rue. Ils ne considèrent pas le travail législatif comme une fin en soi, convaincus que le parlement n’est pas le lieu où s’organise la rupture mais qu’elle réside dans la construction du rapport de force extra-institutionnel. Ces élus se concentrent donc sur des missions de contrôle, telles que les questions écrites et orales. «Celles-ci sont filmées et, dès lors, exploitables à l’égard des électeurs», note Emilie van Haute. «On les entend beaucoup, parfois à tort et à travers», avancent de leur côté des députés de la majorité.

Bulletin des députés wallons: près de 18.000 questions écrites

Ce contrôle de l’action du gouvernement demeure sans doute le travail le plus visible des députés wallons: lors de cette mandature, les élus ont posé près de 18.000 questions écrites et plus de 12.000 questions orales aux différents ministres, en commission ou en séance plénière (quatre fois plus qu’au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles). Certains parlementaires doutent de la pertinence de cette flopée de questions. «Si vous avez un collaborateur parlementaire très actif, il pourra rédiger beaucoup de questions écrites. Mais elles sont souvent redondantes, pas toujours pertinentes, voire se complaisent dans le sous-localisme», avance l’un d’entre eux qui a déjà presté quatre mandats. «Avec les questions orales, on est davantage dans le débat. Pour moi, on devrait d’ailleurs retirer les questions écrites de ce type de statistiques», ajoute une autre, lorsqu’on évoque la «suractivité» de certains de ses pairs.

Les résultats bruts offrent sans aucun doute une prime à l’opposition.

Ce parlement n’a-t-il pas les yeux plus gros que le ventre? Quelques chiffres saisissants résument la situation: outre les questions écrites et orales, on dénombre 593 interpellations, 873 propositions de décret, 441 propositions de résolution, 1.646 projets de motion, 1.197 questions d’actualité, 5.345 interventions. Par ailleurs, les députés ont eu à traiter 303 projets de décret. Presque autant qu’à la Chambre…

Avec les réformes successives de l’Etat et le transfert de matières, le parlement de Wallonie gère des milliards et légifère à foison. Un parlement vivant, visible, pour lequel les députés montrent de l’appétit, avec un impact direct sur les conditions de travail et la vie parlementaire à Namur.

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