Ce sera l’un des grands enjeux de la législature à venir: afin d’enrayer l’étalement urbain, les communes wallonnes doivent identifier leurs zones privilégiées pour l’accueil de nouveaux logements. Le compte à rebours a commencé, avant même les élections communales 2024.
En août dernier, à quelques mois donc des élections communales 2024, la Wallonie adoptait son Schéma de développement du territoire (SDT), une stratégie à long terme dont l’objectif principal est de stopper l’artificialisation nette des sols d’ici à 2050. A chaque fois que l’on construit un nouveau bâtiment sur un sol nu, ce sont en effet autant de mètres carrés qui se voient soustraits aux terres agricoles, forestières ou naturelles. Si l’ampleur de l’artificialisation diminue depuis la fin des années 2000, elle progresse tout de même encore d’environ 11,5 km² par an, au gré des logements, routes, commerces ou zonings qui continuent à voir le jour. Atteindre une artificialisation nette nulle en 2050 ne signifie pas qu’il ne sera plus possible de bâtir sur un terrain vierge après cette échéance. Mais qu’en contrepartie, la région concernée devra «désartificialiser» une surface équivalente à ce qui est bâti. Ce qu’elle prélève à la nature ou à l’agriculture d’une part, elle devra leur rendre d’autre part.
Les temps ont bien changé depuis l’émergence des plans de secteurs wallons, entre les années 1960 et 1980. «Les zones d’habitat ont été définies sur la base des perspectives démographiques de l’époque, anticipant une population de six millions de Wallons», retrace Yves Hanin, professeur à l’UCLouvain et directeur du Centre de recherches et d’études pour l’action territoriale (Creat). Dans les faits, il n’en fut rien, puisque le sud du pays compte à ce jour quelque 3,7 millions d’habitants. De même, les projections pour les années à venir ont récemment été revues à la baisse, vu la réduction persistante de la natalité –bien que compensée partiellement par les flux migratoires. Bref, beaucoup de communes wallonnes comptent bien trop de zones d’habitat au regard des besoins actuels et futurs.
Où construire en priorité? Un débat majeur après les élections communales 2024
Tant mieux? Le problème, c’est que l’abondance de terrains affectés à cette fin a généré un effet pervers: elle a largement favorisé l’étalement urbain, qui s’est notamment traduit par la construction de logements toujours plus éloignés des centres urbains et villageois. «Ce phénomène accroit les dépenses liées aux services à domicile (collecte d’immondices, soins de santé, livraisons…) et à la maintenance des réseaux de transport, d’énergie, d’assainissement des eaux, etc, explique le SDT. Il multiplie et allonge les déplacements individuels et leurs émissions de gaz à effet de serre et accroît la part du budget des ménages consacrée à la mobilité. Il participe à la perte de vitalité des centres et crée des espaces où le principal moyen de déplacement efficace est la coûteuse voiture individuelle.»
Le Schéma de développement du territoire prévoit qu’à l’horizon 2050, sur quatre nouveaux logements construits, trois devront se trouver dans une centralité.
Deux priorités apparaissent donc à la lumière de ce constat pour les futurs vainqueurs des élections communales 2024. La première est de valoriser autant que possible le bâti existant, qui reste largement sous-utilisé. Pour en améliorer la salubrité et la performance énergétique, il s’agirait de rénover environ 3% du parc résidentiel par an, contre un petit pour cent à l’heure actuelle. Un objectif inatteignable aussi longtemps que la Région compte essentiellement sur les primes en guise d’incitant et que le secteur du bâtiment souffre d’une large pénurie de main-d’œuvre, sans même aborder la hausse des coûts des matériaux. En parallèle, la construction de projets immobiliers sur des terrains vierges reste encore comparativement moins complexe et souvent moins coûteuse que de recycler le tissu urbain, en dépit des initiatives visant notamment les friches urbaines.
En analysant les chiffres du nombre de logements neufs créés ayant fait l’objet d’un permis de bâtir durant la dernière législature, on constate une concentration proportionnellement plus importante de résidentiel neuf en province de Luxembourg. Certaines communes plus densément peuplées des autres provinces affichent toutefois elles aussi une proportion plus haute que la moyenne wallonne. Les maisons unifamiliales (deux, trois et quatre façades) ont toujours le vent en poupe: parmi les logements ainsi créés, seuls 32,8% sont des appartements à l’échelle de la Wallonie.
A côté de la rénovation du bâti existant, la deuxième priorité est de concentrer l’essentiel des futurs nouveaux logements dans les zones offrant déjà une densité significative de services, à savoir les villes et certains villages. C’est ce que le SDT appelle les «centralités». Un village n’équivaut pas nécessairement à une centralité. Les zones répondant à ce statut doivent combiner plusieurs critères, comme une certaine densité de logements existants, la présence d’une ou plusieurs lignes de transport en commun ou encore de services de base (école fondamentale, commerce alimentaire, pharmacie, bureau de poste…). Le SDT prévoit qu’à l’horizon 2050, sur quatre nouveaux logements construits, trois devront se trouver dans une centralité. «Même après 2050, il n’y aura donc pas d’interdiction de construire en dehors des centralités, clarifie Yves Hanin. Mais on ne pourra plus y construire aussi simplement qu’avant.»
Le SDT wallon s’accompagne d’une cartographie reprenant l’ensemble des centralités identifiées en juxtaposant de nombreux critères. La législature issue des élections communales 2024 s’annonce décisive en la matière, puisque la Wallonie laisse jusqu’au 1er août 2030 aux pouvoirs locaux pour mettre en œuvre un schéma de développement communal (SDC) susceptible d’adapter les centralités identifiées dans le SDT. Une commune rurale souhaitant comporter quatre petites centralités au lieu d’une seule aura l’occasion de plaider en ce sens, mais non sans conditions. «Si elles veulent s’en écarter, elles devront prouver, via un rapport urbanistique et environnemental, que leur vision est compatible avec l’objectif wallon», commente Yves Hanin. En dehors de ces centralités, par exemple, les projets de logements, commerces ou bureaux occupant un terrain de minimum 50 ares devront réserver une superficie de 70% de pleine terre. De même, à quelques exceptions près, les projets comportant du logement dans les zones excentrées devront y afficher une densité nette inférieure ou égale à dix logements à l’hectare.
«En Wallonie, il reste environ 50.000 hectares de terrains à bâtir en zone d’habitat. Mais dans les faits, beaucoup ne seront jamais construits.»
Mais qu’en est-il des (nombreux) terrains à bâtir d’une superficie inférieure à 50 ares, susceptibles d’accueillir des maisons unifamiliales? Comme le SDT ne règle aucunement leur sort, risquent-ils d’alimenter copieusement l’artificialisation dans les années à venir? Ce n’est pas du tout ce qu’entrevoit Yves Hanin, vu les balises du CoDT et les nombreuses contraintes qui pèsent aujourd’hui sur les ménages ou sur les projets. «En Wallonie, il reste environ 50.000 hectares de terrains à bâtir en zone d’habitat, indique-t-il. Cela n’équivaut toutefois pas au potentiel constructible. Beaucoup de ces terrains ne sont pas viabilisés, puisque dépourvus d’un accès à une voirie équipée, ce que les communes rechignent de plus en plus à financer. D’autres figurent en zone d’habitat mais ne sont pas constructibles non plus, vu le risque d’inondations. D’autres encore présentent un dénivelé important. Et puis, n’oublions pas que pour les jeunes ménages, il est devenu bien plus difficile de faire construire, vu les conditions qu’appliquent les banques en matière d’apport personnel et vu la hausse du coût des matériaux de construction. Or, ce n’est pas tant la rareté d’un terrain qui détermine son prix. Son propriétaire veut le vendre au prix de celui qui offrira le plus, quitte à le thésauriser pendant des années. Dans les faits, bien des terrains ne seront jamais construits.»
Selon l’expert, il est donc inutile d’envisager de limiter les permis de bâtir, ou même de revoir les plans de secteur, ce qui supposerait un coûteux dédommagement au bénéfice des propriétaires de terrains dormants. Au-delà du débat sur les futures «centralités», c’est-à-dire les zones où il sera –en principe– plus facile de construire qu’ailleurs, les vainqueurs des élections communales 2024 devront inévitablement affiner leur connaissance des bâtiments existants et des possibilités de développement qu’ils offrent ou non. Il conviendra aussi de devancer l’avenir de certains commerces qui, compte tenu de leurs difficultés structurelles, semblent tout désignés pour devenir les friches de demain.
Qu’en disent les partis politiques?
Interrogés dans le cadre du test électoral du Vif, les six principaux actifs en Wallonie et à Bruxelles se sont prononcés sur cette thématique de l’artificialisation des sols.
À l’affirmation «les communes doivent limiter le nombre de nouvelles constructions sur leur territoire», quatre partis ont répondu par l’affirmative: PS, MR, PTB et DéFI. Pour les amarantes, qui ne sont «pas opposés, par principe, aux projets de construction de nouveaux logements», il est souhaitable que «les autorités communales conservent la maîtrise de l’aménagement de leur territoire et qu’à ce titre, elles puissent limiter le nombre de nouvelles constructions lorsqu’elles le jugent nécessaire.»
Seuls Ecolo et Les Engagés désapprouvent la proposition du liée aux nouvelles constructions. Pour ces derniers, il convient plutôt d’agir «au cas par cas, en fonction de la situation de fait de la commune, de son caractère rural ou urbain, au regard de l’espace disponible, de l’environnement, du patrimoine et de la pression démographique.»