Dessiner avec une grande précision, placer un fil dans le chas d’une aiguille, manipuler une manette de jeu vidéo, synchroniser des gestes avec une autre personne… Le point commun entre ces actes et bien d’autres nécessitant de la concentration? Une grande majorité des enfants, mais aussi une bonne partie des adultes, vont tirer la langue en les effectuant, ou se prêter à quelques mouvements buccaux. Mais pourquoi?
La théorie la plus convaincante repose à la fois sur l’évolution du langage et sur le fonctionnement du cerveau. Dans leur livre Gesture and the Nature of Language (Cambridge University Press), paru en 1995, trois chercheurs soutiennent que les communications manuelle et vocale se sont développées en parallèle. En s’appuyant notamment sur la primatologie et l’anthropologie, ils considèrent que la parole a évolué à partir des gestes de la main. En 2002, deux autres spécialistes ont constaté des mouvements buccaux chez les chimpanzés, tandis qu’ils se prêtaient à des manipulations motrices de précision. Par la suite, de nombreuses autres études ont étayé un pareil constat, cette fois chez les êtres humains: nous exécutons des actions buccales sympathiques en synchronisation avec nos actions manuelles.
«Les résultats de la neuroimagerie indiquent des liens étroits entre les régions du cerveau liées à la production de la parole et celles qui contrôlent le mouvement des mains et des bras, résument deux chercheuses dans un article paru en 2015 dans la revue Cognition, s’appuyant sur une soixantaine de sources. Plus précisément, l’aire de Broca (NDLR: une partie du cerveau en charge de l’articulation des mots) est activée lors de l’imitation des mouvements de la main et de la préparation des saisies. […] Ainsi, chez l’homme moderne, il existe une association entre la parole et le geste qui « transcende les intentions de communication du locuteur », par laquelle les activités mutuelles restent inextricablement liées tout au long de la vie.» Sur quatorze enfants droitiers filmés alors qu’ils effectuaient six tâches de concentration, tous ont recouru à des mouvements de la langue. Et plus particulièrement vers la droite, ce qui suggérerait une action de l’hémisphère gauche, dominant pour le langage chez 95% des droitiers, contre 70% chez les gauchers.
Au départ, les chercheuses s’attendaient à ce que les enfants tirent plus fréquemment la langue pour une tâche de précision. Or, ce fut davantage le cas pour une activité consistant à les faire taper avec la paume de la main sur une table, tandis qu’un chercheur en faisait de même, mais avec le poing. Comme un tel jeu présente des similitudes avec les «éléments fondamentaux d’un système de communication», ce résultat corrobore la théorie selon laquelle le langage reposerait au départ sur les gestes.
De manière générale, vu que la dextérité manuelle s’avère cérébralement liée au langage oral, il est donc logique d’avoir tendance à tirer la langue lorsqu’une tâche requiert des mouvements de grande précision et de concentration.