Dans la note sur la politique judiciaire sur laquelle travaillent les différents partis de l’Arizona figure l’idée d’instaurer des bateaux-prisons. Ce n’est qu’une idée, mais elle inquiète déjà les professionnels de la justice.
Les premières notes de l’Arizona commencent à fuiter, dessinant les lignes abstraites de la réalité politique fédérale pour les cinq ans à venir. Mardi, La Libre révélait les premières idées du groupe de travail «Justice» auquel prennent part les futurs partis composant l’exécutif (N-VA, CD&V, Vooruit, MR et Les Engagés) parmi lesquelles figurerait l’instauration de bateaux prisons.
Le principe est encore flou, très flou. D’ailleurs, la porte-parole des Engagés assure que rien n’est inscrit dans le marbre et «qu’il y a encore beaucoup de points sur lesquels il n’y a pas d’accord». Et si les bateaux prisons venaient à s’amarrer dans les ports belges, nul doute que ce serait contre la volonté des syndicats des gardiens de prison et experts judiciaires.
Reste que les prisons flottantes sont plutôt rares. Récemment, le président équatorien Daniel Noboa (libéral), élu en 2023, a fait de ce projet une priorité. Le but serait d’emmener les détenus les plus dangereux en mer pour les éloigner de leurs réseaux de corruption. En été 2023, le Royaume-Uni a également mis en service une barge dans la Manche pouvant accueillir jusqu’à 500 demandeurs d’asile, afin de réduire les coûts de l’accueil. Un concept similaire est d’ailleurs en place à Gand.
On a récemment ouvert Haren pour fermer Saint-Gilles, mais on vient d’annoncer que cette dernière restait finalement ouverte.
Le constat des membres de l’Arizona demeure, quant à lui, un peu esseulé. La note relève à maintes reprises la surpopulation carcérale, et un bateau-prison (comme des villages de containers) servirait à augmenter rapidement la capacité carcérale. «Sauf que la problématique de la surpopulation dans les prisons, c’est un problème d’inflation carcérale, réplique l’avocate pénaliste Delphine Paci qui qualifie l’idée de l’Arizona « d’absurdité ». On incarcère trop en Belgique et toutes les instances européennes le disent. On a récemment ouvert Haren pour fermer Saint-Gilles, mais on vient d’annoncer que cette dernière restait finalement ouverte.»
Les syndicats des gardiens de prison ne diront pas le contraire. Actuellement, la Belgique compte 12.520 détenus, rappelle La Libre, pour 11.020 places disponibles derrière les barreaux. «Depuis un an, avec les petites peines qui sont purgées en prison, c’est aussi un problème, pointe Eddy De Smedt, secrétaire général du SLFP Prisons. L’autre grand problème, ce sont les internés souffrant de problèmes mentaux qui n’ont rien à faire en prison. Si on enlève rien que cette catégorie de personnes, on libère 1.000 places.» Mohamed Bercha, son homologue de la CSC, abonde, évoquant notamment «des détentions préventives beaucoup trop longues […]. Avant, on attendait le jugement du Tribunal d’Application des Peines en dehors de la prison. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.»
«Je ne mettrais pas les plus dangereux sur un bateau»
L’idée des bateaux prisons était déjà évoquée en 2008, simultanément à l’option (finalement choisie) de louer la prison hollandaise de Tilburg aux Pays-Bas. «Pour nous, c’est bien de chercher à ouvrir des places d’une nouvelle manière, concède Eddy De Smedt, mais ça ne règle pas le problème du manque de personnel», qu’il estime à 200 unités.
Sur un plan pratique, le concept interroge, voire inquiète. «L’accès aux psychologues sociaux seront compliqués. Idem pour les visites des familles alors que les prisons actuelles sont déjà difficilement atteignables en transports en commun», commente Delphine Paci.
Selon les syndicats, les détenus et même la sécurité publique seraient aussi perdants dans cette histoire. Le gouvernement équatorien a décidé par exemple d’enfermer les détenus les plus dangereux sur les bateaux prisons. «En Belgique, c’est très difficile de s’évader de prison, assure Mohamed Bercha. Je ne mettrais donc pas les prisonniers les plus dangereux sur un bateau.»
Enfin, le budget inhérent à l’idée risque lui aussi de faire parler. Si, sous la houlette de l’ancienne ministre Annemie Turtelboom (Open-VLD), le choix de la location de Tilburg avait été fait plutôt que celui d’un bateau prison, c’est notamment pour une question budgétaire. A l’époque, les 650 détenus belges placés dans la prison néerlandaise représentaient un coût annuel de 42 millions.