Le géographe Renaud Duterme alerte sur les arbitrages qu’elles induiront entre les besoins d’acteurs aux objectifs contradictoires.
«Si la majeure partie du XXe siècle fut marquée par l’abondance (seulement pour une portion de l’humanité), le XXIe siècle sera celui des limites», pronostique Renaud Duterme dans Pénuries. Quand tout vient à manquer (1). Mieux vaut donc s’organiser en conséquence…
Dans son essai, le géographe, professeur à l’ULB, dresse l’état des lieux «des fragilités et des dangers pesant tour à tour sur les énergies, les matières premières, les chaînes logistiques, l’approvisionnement alimentaire et les systèmes de santé». Il pointe la finitude des énergies fossiles et des matières premières, la fragilité de la «conteneurisation du monde» soumise aux aléas climatiques et politiques, les limites de l’agriculture industrielle et la précarité de nos systèmes de santé, mise en lumière par la crise du Covid. Résultat: «Les pénuries à venir augurent de multiples arbitrages entre les besoins d’acteurs dont les objectifs risquent de se révéler de plus en plus contradictoires.»
Pour éviter cet effondrement présumé, Renaud Duterme prône une politique radicale incluant notamment une décroissance («baisse drastique de notre production et de notre consommation matérielle»), une recomposition des rapports économiques entre les nations afin de ne plus les faire reposer sur le libre-échange mais plutôt sur des accords de partenariat, et un renoncement à des activités sans utilité sociale (comme la publicité).
Il suggère, comme premières actions concrètes, une dotation inconditionnelle d’autonomie versée à tous de manière égale de la naissance à la mort, en partie sous forme de droit de tirage sur des ressources, une planification axée sur le bien-être qui impliquerait, par exemple, à renoncer à fabriquer des produits très polluants et une réduction du temps de travail, «bien entendu, sans diminution de salaire».
L’auteur prend le pari de «considérer des situations de pénuries comme une opportunité pour convaincre de la nécessité d’un changement individuel, collectif et politique». Pourquoi pas? On peut néanmoins se demander si le diagnostic dressé par l’auteur sur l’état de la société, qui minimise les progrès socioéconomiques des évolutions de ces dernières années (mentionnés une seule fois) ou les aspects positifs de la réponse européenne à l’épidémie de Covid, n’est pas exagérément noirci pour justifier la solution du «grand changement». La légitimation du recours à une certaine violence pour l’opérer est aussi sujette à interrogation.
(1) Pénuries. Quand tout vient à manquer, par Renaud Duterme, Payot, 224 p.