Le grave accident de la route du présentateur flamand Tom Waes, en état d’ébriété au moment des faits, relance le débat sur le taux d’alcool autorisé au volant. L’institut de sécurité routière Vias plaide pour la tolérance zéro, déjà en application dans plusieurs pays européens. Une mesure réellement efficace?
Ce soir-là, je suis allé au restaurant et au café, et j’ai trop bu pour être en état de conduire. Pourtant, j’ai pris le volant pour rentrer chez moi. C’est incompréhensible.» Les aveux du présentateur flamand Tom Waes, grièvement blessé dans un accident de la route à Anvers samedi dernier, ont suscité un vif émoi au nord du pays. Si l’acteur phare de la série Undercover s’en sort miraculeusement, les drames liés à l’ivresse au volant restent fréquents en Belgique. Environ onze accidents de la route impliquant des conducteurs en état d’ébriété sont recensés chaque jour, faisant au moins un blessé, selon les données de l’institut de sécurité routière Vias.
Face à ce constat, Vias plaide depuis de longues années pour abaisser le taux d’alcool autorisé au volant à 0,2 gramme par litre de sang, contre 0,5 g/l (l’équivalent de deux bières pour un homme de corpulence moyenne) à l’heure actuelle. «Ce seuil équivaudrait à la tolérance zéro, sans pénaliser les faux positifs, car certaines personnes produisent naturellement une quantité infime d’alcool, explique Benoit Godart, porte-parole de Vias. Le taux serait ainsi uniformisé sur celui qui s’applique déjà aux conducteurs professionnels (chauffeurs de taxis ou de poids lourds, par exemple). Les contrôles seraient les mêmes pour tout le monde.»
Le Royaume-Uni, le plus laxiste
Pour Vias, la tolérance zéro offre un cadre clair, censé limiter les dérapages. «Après un verre ou deux, c’est généralement plus difficile de refuser les suivants, estime le porte-parole de Vias. En fixant une règle stricte – « si je conduis, je ne bois pas du tout » – ça évite les tentations ou les pressions du groupe. Si vous ne buvez pas depuis le début de la soirée, votre ami ne sera pas tenté de vous offrir un verre.» Avec ce cadre plus transparent, fini les calculs savants pour déterminer le nombre maximal de pintes ou de mojitos à ingurgiter sur trois heures de temps. «Cette approche n’est pas du tout pertinente, car elle dépend de trop de facteurs différents tels que la morphologie, la capacité d’absorption ou l’alimentation.» Selon les estimations faites par Vias en 2020, la tolérance zéro pourrait sauver jusqu’à 17 vies et éviter plus de 300 blessés chaque année.
A l’échelle européenne, plusieurs pays appliquent déjà ce seuil de 0,2 g/l, qui correspond, sur un éthylotest, à 0,09 milligramme par litre d’air alvéolaire expiré: les pays nordiques (Norvège, Suède, Estonie), mais également la Pologne. La République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie vont encore plus loin en imposant un seuil de 0 g/l à tous les conducteurs. La norme la plus fréquente en Europe (et recommandée par la Commission) reste cependant fixée à 0,5 g/l, comme en France, en Espagne, en Allemagne ou en Italie. Seuls le Royaume-Uni et Malte sont plus laxistes avec un taux fixé à 0,8 g/l. A noter que, dans de nombreux pays, une limite plus stricte s’applique également aux jeunes conducteurs, ce qui n’est pas le cas en Belgique.
Difficile, toutefois, d’objectiver l’efficacité réelle de la tolérance zéro sur le comportement des conducteurs. A l’échelle européenne, aucune donnée ne compile le nombre d’accidents liés à la consommation d’alcool dans les 27 pays membres. Par contre, la Commission a recensé le nombre d’accidents mortels (toutes causes confondues), qui apparaît particulièrement faible en Scandinavie. Avec 21 morts sur les routes par million d’habitants, contre 46 à l’échelle du Vieux Continent, la Norvège est de loin la meilleure élève, juste devant la Suède (22 morts). A contrario, la Roumanie occupe la lanterne rouge du classement (86 morts), malgré sa politique stricte en matière d’alcool au volant. Difficile donc, d’établir un lien de causalité directe entre tolérance zéro et sécurité routière.
15% de réfractaires
Pour Stefaan Van den Broucke, professeur en psychologie de la santé à l’UCLouvain, la clé pour limiter les drames liés à l’alcool au volant réside plutôt dans une approche combinée. Seule, la tolérance zéro ne peut pas faire de miracles. «En Belgique, la règle actuelle n’est pas la norme. Alors qu’elle est connue de tous, elle n’est pas complètement intégrée dans les comportements, regrette le professeur. Réduire encore la limite ne me paraît pas la solution la plus efficace.»
Pour limiter les infractions, mieux vaut développer des stratégies ciblées à l’encontre des délictueux, qui représentent environ 15% de la population. «Selon une étude menée il y a quelques années en Flandre, plus de 8 personnes sur 10 disent toujours rester sous le taux d’alcool autorisé lorsqu’elles prennent le volant, affirme l’expert. Essayer de changer le comportement fautif d’une minorité en imposant des règles à une majorité me paraît contre-productif.» Sanctionner plus sévèrement les récidivistes est également une piste à privilégier.
«Essayer de changer le comportement fautif d’une minorité en imposant des règles à une majorité me paraît contre-productif.»
Mais pour qu’il y ait des sanctions, encore faut-il qu’il y ait des contrôles. «D’un point de vue comportemental, si l’on commet un délit mais qu’on n’est pas puni, on va être tenté de le recommencer, rappelle le professeur de psychologie. La motivation interne à ne pas boire d’alcool, qui est de limiter les risques pour la santé et la sécurité routière, peut rapidement disparaître au profit d’une motivation externe, à savoir le fait de ne pas se faire contrôler. L’intensification des contrôles, combinée à d’autres facteurs, peut certainement entraîner un changement de comportement.»
Revaloriser le rôle de BOB
La sensibilisation reste également indispensable. «Intégrer des joueurs de football dans des campagnes de prévention me paraît par exemple une bonne idée pour toucher le grand public, qui va s’identifier à ces role models», estime Stefaan Van den Broucke, qui plaide également pour «revaloriser le rôle de BOB». «A l’origine, la campagne mettait en avant le rôle positif de la personne qui ne buvait pas d’alcool pour véhiculer les autres. Elle était considérée comme un héros. Aujourd’hui, les campagnes sont davantage axées sur les sanctions ou les risques encourus en cas de consommation. Or, la promotion des comportements positifs est primordiale pour faire évoluer la norme sociétale.»
Enfin, le professeur estime que les événéments relatés dans la presse ou sur les réseaux sociaux, à l’instar de l’accident de Tom Waes, peuvent également soutenir la prévention… à court-terme. «C’est pareil quand on roule trop vite et qu’on est flashés, illustre le professeur. Pendant une certaine période, on va faire attention, mais comme le comportement n’est pas toujours puni, ça ne va pas s’ancrer sur la durée.» Les nombreux drames évoqués dans les médias peuvent également entraîner l’adoption d’une attitude optimiste–réaliste, souligne l’expert: «Certes, l’accident est terrible, mais la probabilité que ça m’arrive est faible». Seuls les drames qui touchent pronfondément un individu ou son entourage peuvent entraîner un changement de comportement durable, estime Stefaan Van den Broucke.
La question de la tolérance zéro s’est régulièrement invitée dans les débats politiques ces dernières années. Vooruit en a notamment fait son cheval de bataille depuis 2010. A en croire le député socialiste Joris Vandenbroucke, la mesure pourrait à nouveau être mise sur la table dans le cadre des négociations fédérales. Mais au vu de la position réfractaire de la N-VA, du CD&V et des Engagés, l’espoir est mince de la voir aboutir sous une coalition Arizona.