La Cour des comptes publie un rapport relativement critique par rapport aux transactions pénales lors de condamnations pénales. Si la Cour souligne l’indispensabilité d’une telle mesure, elle pointe qu’elle peut aussi mener à une justice fiscale inégalitaire. A titre d’exemple, les transactions pénales ont ramené 50 millions dans les caisses via la juridiction d’Anvers depuis 2017, contre zéro centime à Mons.
C’est l’histoire d’un chef d’entreprise qui se verse un petit bonus sous la table, sans en parler à personne et surtout pas au fisc. Montant du butin: 100.000 euros. Pas de chance pour lui, les enquêteurs sont mis au parfum. S’ouvre alors une enquête, longue, complexe et à l’issue tout à fait incertaine, car les inspecteurs devront prouver l’intention de frauder du suspect. C’est alors que le procureur du Roi fait une proposition qui soulagerait tout le monde: le patron rembourse l’impôt dû à l’Etat, soit 50.000 euros, et puis rajoute 30.000 euros pour sa tentative d’évasion fiscale, et l’enquête s’arrête là. Le frauduleux patron échappera à un casier judiciaire, à une amende qui aurait pu s’avérer encore plus lourde, et peut-être même à la case prison.
Ce procédé est tout à fait commun. Il s’agit d’une transaction pénale, et il est épinglé cette semaine par la Cour des comptes au travers d’un rapport transmis à la Chambre des représentants. C’est au ministère public, le parquet, de proposer une transaction au suspect mais, généralement, cette proposition vient après que le suspect ait manifesté un intérêt à verser une transaction pénale. «En Belgique, nous sommes dans une situation un peu particulière, explique le professeur de droit fiscal à l’UCLouvain Edoardo Traversa. Les matières prennent beaucoup de temps avant d’arriver à un jugement, et l’issue de celui-ci reste aléatoire.» Alors, pour la justice pénale, ces transactions sont un certain moyen de ne pas perdre ni la face, ni l’argent fraudé, alors que certaines condamnations peuvent sauter faute d’être prononcées dans un délai raisonnable. «C’est clairement un aveu de faiblesse de la justice belge», estime le professeur.
«Je ne me souviens pas de la dernière transaction fiscale»
La Cour des comptes estime cependant que les transactions pénales en matière fiscale restent un procédé particulièrement disparate. Sur les 167 transactions fiscales enregistrées entre 2017 et 2023, 68% émanent de la juridiction de Gand, 14% sont conclues à Anvers, et 12% à Bruxelles. Le parquet de Liège a traité 6% des transactions fiscales alors que celui de Mons n’a pas bouclé la moindre affaire fiscale via ce procédé depuis 2017.
La Cour des comptes émet l’hypothèse de priorités divergentes et de moyens d’expertise qui ne sont pas égaux entre les juridictions. «Il faut dire que ces transactions pénales se font de plus en plus rares, concède un président d’une chambre spécialisée en affaires financières qui souhaite garder l’anonymat. Je ne me souviens plus de la dernière transaction pénale pour infraction fiscale que j’ai traitée.» Cela a une influence pénale, puisque la Cour des comptes révèle que «dans les régions où ils estiment que le risque de poursuites et de condamnation est faible, les suspects n’ont aucun intérêt à conclure une transaction fiscale». Et ainsi se pose la question de l’égalité judiciaire entre les Belges de différentes régions.
Et c’est vrai que si la tendance est à la baisse dans toutes les juridictions du pays, le recours à la transaction pénale pour infraction fiscale varie fortement d’une juridiction à l’autre du pays, et parfois même au sein d’un même dossier. Dans une même organisation criminelle, un prévenu peut décider seul de négocier une transaction afin de quitter le train pénal. «Une politique pénale active en matière fiscale menée par le parquet contribue donc au nombre de transactions fiscales conclues», commente la Cour des comptes qui relève que les dossiers diffèrent considérablement d’une juridiction à l’autre. Si le parquet d’Anvers clôture 14% des transactions fiscales, 34% du produit total d’impôts récupérés par ce procédé émane de cette juridiction. Le port et ses zones troubles n’y sont probablement pas pour rien.
Le point rouge pour l’Arizona
L’Arizona l’a promis, la lutte contre la fraude fiscale devrait bientôt devenir une priorité. 300 inspecteurs devraient être affectés à cette mission suite à la création promise d’un parquet national financier. Sauf que ce parquet national financier devra peut-être naviguer en plein brouillard si les transactions fiscales restent secrètes. C’est le point rouge de la Cour des comptes. «Pour la crédibilité publique, il est essentiel que leur élaboration et leurs modalités soient soigneusement enregistrées, rapportées et documentées. (…) Les enregistrements [actuels] ne sont pas cohérents et présentent des anomalies, de sorte qu’ils ne suffisent pas pour tirer des conclusions, générer des statistiques ou évaluer l’avancement des dossiers individuels.»
Bien sûr, il existe des barèmes appliquant un taux de 60 à 65% du montant fraudé, comme proposé par une circulaire du collège de procureurs généraux. «D’autres parquets appliquent des taux plus faibles, note la Cour des comptes. Ils varient généralement de 30 à 50% en fonction du type de fraude faisant l’objet de la transaction.»
Afin de renforcer la crédibilité et le suivi des transactions fiscales, la Cour des comptes émet huit recommandations au SPF Justice. Elle recommande notamment un enregistrement cohérent des transactions fiscales; un rapport précis pour chaque transaction et que ce rapport mentionne chaque montant de manière détaillée; que chaque dossier comprenne une preuve de paiement de la transaction; qu’un protocole sur les transactions fiscales soit conclu avec le ministre de la Justice. Ce protocole pourrait d’ailleurs déterminer si les transactions fiscales devraient se prononcer après une reconnaissance de culpabilité du fraudeur, qui voit souvent dans ce mécanisme un moyen de s’éviter un casier judiciaire tout en échappant à une lourde amende, pointe Edoardo Traversa.















