La défense de l’extrême droite après le réquisitoire contre sa cheffe de file au procès des assistants parlementaires est de crier au déni de démocratie. Une stratégie risquée.
Interview de Marine Le Pen au 20 heures de TF1 le 15 novembre, prises de parole multiples de ses lieutenants dans les médias, pétition sous le titre «Défendez la démocratie. Soutenez Marine!»…: le Rassemblement national a sorti la grosse artillerie pour organiser la défense devant l’opinion publique de sa leader, triple candidate à l’élection présidentielle (2012, 2017, 2022), et potentiellement empêchée de participer à une quatrième course si le tribunal correctionnel de Paris suit le réquisitoire du parquet quand il prendra sa décision dans le procès des assistants parlementaires du Rassemblement national en janvier 2025.
La teneur des réquisitions prononcées le 13 novembre a provoqué le branle-bas de combat au sein de la grande maison de l’extrême droite française. Cinq ans de prison dont deux ferme, cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire –ce qui signifie que la peine serait applicable même en cas d’appel– et 300.000 euros d’amende. Ce n’est pas rien pour l’icône du Rassemblement national et une des principales figures de proue de l’extrême droite en Europe. C’est surtout une épée de Damoclès qui menace la participation de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2027, où, même si l’éloignement de l’échéance invite à la prudence, un faisceau de conjonctures lui promet plus de chances sans doute qu’elle n’en a jamais eues de l’emporter.
Le Pen, «un rôle central»
Dans ce procès, leader, eurodéputés, cadres, assistants, soit 24 prévenus, sont soupçonnés d’avoir utilisé l’argent prévu par l’Union européenne aux fins d’embauche de collaborateurs au Parlement européen pour payer du personnel dont le travail se focalisait sur les activités du parti en France. C’est ainsi que Marine Le Pen est poursuivie pour «abus de confiance», «complicité d’abus de confiance» et «détournement de fonds publics». «Elle est au cœur de la décision. Elle a joué un rôle central», a indiqué un des procureurs. D’autres prévenus le sont pour «escroquerie en bande organisée», «faux et usage de faux», «travail dissimulé». Deux collaborateurs en particulier, une assistante et un garde du corps, n’ont, selon l’enquête française, quasiment pas ou pas du tout été présents au Parlement européen lors de la période concernée, entre 2004 et 2016. Un soupçon d’emplois fictifs, donc. Le préjudice global a été estimé à sept millions d’euros.
Immédiatement après le réquisitoire du parquet, Marine Le Pen et ses lieutenants ont inscrit leur défense médiatique sous l’angle du déni de démocratie que consacrerait, selon eux, l’impossibilité de la dirigeante de se présenter au scrutin de 2027. «Je pense que la volonté du parquet est de priver les Français de la capacité de voter pour ceux qu’ils souhaitent et de ruiner le parti», s’est insurgée la dirigeante d’extrême droite sur TF1. «Ce réquisitoire réclame des condamnations sans commune mesure avec le moindre réquisitoire du même type, allant jusqu’à demander la peine de mort politique», a-t-elle enchéri.
«Il est extraordinaire de voir un parti qui a condamné le laxisme des juges pleurnicher sur le mauvais traitement qui lui serait réservé.»
Pourfendeur du laxisme des juges
Députée et eurodéputée dans les années 1990 et 2000, Roselyne Bachelot (lire par ailleurs), qui fut encore ministre de la Culture de 2020 à 2022 après avoir occupé d’autres postes gouvernementaux, réfute les arguments du Rassemblement national et a une analyse beaucoup plus pragmatique du dossier. «Madame Le Pen et sa bande ont mis les doigts dans le pot de confiture. Et ils doivent être sanctionnés. D’ailleurs, le déroulé du procès a montré qu’il y avait « un système organisé » au sein du Rassemblement national. Cette affaire est documentée, avance la responsable politique de droite. Il est quand même extraordinaire de voir un parti et des responsables politiques qui ont condamné le laxisme des juges pendant des années venir pleurnicher sur le mauvais traitement qui leur serait réservé parce que la sanction, prévue par la loi, pourrait leur tomber dessus aujourd’hui. Madame, vous connaissiez les textes, vous connaissiez les lois. Certes, vous avez hérité d’un système qui a été largement mis en place par Jean-Marie Le Pen, mais vous n’avez rien fait pour le combattre… Je m’étonne de l’attitude de ceux qui viennent dire qu’ »il ne serait pas acceptable que Madame Le Pen ne puisse pas se présenter à l’élection présidentielle de 2027″. Mais la faute à qui? A elle… Il faudrait effacer les crimes pour lui permettre de se présenter à l’élection présidentielle? Mais je rêve…»
L’entrave à la démocratie que soupçonne Marine Le Pen est un faux procès fait aux procureurs de la République du tribunal correctionnel de Paris. L’accusation –au même titre que la pétition Soutenez Marine!– semble plutôt servir à mettre une pression sur les juges avant leur délibéré et tend donc à entraver la séparation des pouvoirs entre le judiciaire et le politique, ce qui pourrait s’avérer in fine contre-productif. Et puis, acter l’inéligibilité de Marine Le Pen n’empêcherait pas le Rassemblement national de présenter un candidat. «Personne n’est irremplaçable. Il y a bien des personnalités d’extrême droite qui surgiront à la place de Marine Le Pen. D’ailleurs, certaines trépignent déjà sur le paillasson», ironise Roselyne Bachelot. De façon étonnante vu les circonstances –«Les réquisitions nous mettent un genou à terre», avait-il lâché trois jours plus tôt sur le plateau de l’émission C à vous– le président du parti, Jordan Bardella, interrogé le 18 novembre sur BFM TV à propos des candidatures controversées au sein du RN lors des législatives de juin, a soutenu que «ne pas avoir de condamnation à son casier judiciaire est, pour moi, une règle numéro une lorsqu’on souhaite être parlementaire de la République». Comme un message prémonitoire à destination de sa patronne… La bataille pour la présidentielle de 2027 est-elle lancée au sein de l’extrême droite française?