Les procureurs du Roi étaient réunis au parquet de Bruxelles pour dénoncer le désinvestissement chronique dans la justice.
Une initiative «historique». C’est ainsi qu’ont décrit la lettre ouverte, destinée au Premier ministre et à la ministre de la justice, les quinze procureurs généraux belges, soucieux de «tirer la sonnette d’alarme» dans un contexte de grande souffrance pour le monde judiciaire. Lequel, des greffiers aux juges en passant par les traducteurs, les procureurs et les policiers, manque cruellement de moyens.
«La justice doit être bien plus qu’un simple poste budgétaire.»
Au-delà de l’insalubrité des locaux aux murs «couverts de moisissure», du manque de personnel à tous les échelons de l’appareil judiciaire, de l’impossibilité de faire exécuter correctement les peines et de rendre justice dans des délais raisonnables, c’est bien le manque total d’écoute qui est reproché au gouvernement, a ainsi résumé Vincent Fiasse, procureur du Roi à Charleroi, qui a lu la lettre au nom de ses collègues francophones devant la presse réunie face à lui.
Incompréhension
Une situation qui suscite de plus en plus d’incompréhension alors même que l’accord de gouvernement promet de «rétablir la confiance envers le système judiciaire», y compris en «renforçant l’attractivité» via le recrutement de nouveaux magistrats et personnel judiciaire. Sauf que les bonnes intentions ne convainquent pas, pour l’heure, ces magistrats qui attendent des actes et doutent manifestement de la bonne volonté des «groupes de travail» censés travailler sur la question.
A l’heure de la «criminalité internationale», «la justice doit être bien plus qu’un simple poste budgétaire», insistent les procureurs; c’est «une mission essentielle de l’Etat, qui concerne les individus, l’équité, et la préservation de l’Etat de droit», ce qui suppose des «investissements structurels et à long terme». Pour l’heure, personne n’en voit manifestement la couleur…
Pensions évoquées
Ainsi, au sein du monde judiciaire, l’épuisement est palpable. «Depuis des années, nous lançons des signaux d’alarme. Mais apparemment, pas assez», expliquent les procureurs, déplorant un manque de magistrats «dans tous les parquets». A cela s’ajoute le dossier «pensions», que le gouvernement veut raboter pour les mieux nantis –dont les magistrats–, et dont la lettre ouverte fait brièvement mention, dénonçant un flagrant «manque de consultation».
En début de semaine, les représentants de la magistrature sont ainsi ressortis «très déçus» d’une réunion au cabinet du ministre des pensions Jan Jambon (N-VA). «Nous avons l’impression de ne pas être pris au sérieux», fulminait Eric de Formanoir de la Cazerie, le premier président de la Cour de Cassation, qui représentait ses collègues.
Toutefois, ce jeudi, Vincent Fiasse balayait toute volonté de s’accaparer ce dossier en particulier, alors même que certains parquets menacent de mener des actions en justice pour casser la réforme: c’est bien «le sous-financement de la justice» qui est dénoncé, même si la question de l’attractivité, dans laquelle s’inscrit la problématique des pensions, fait bien partie du problème. La «goutte de trop», insistent, semaine après semaine, juges et parquetiers.
Mais alors, de combien le monde judiciaire aurait-il besoin pour fonctionner idéalement? Aucun chiffre n’est avancé dans cette lettre ouverte, mais l’an dernier, le SPF justice réclamait au bas mot 250 millions d’euros par an pour que la machine judiciaire puisse «seulement» fonctionner à-peu-près normalement. Comprendre: c’est un minimum. En l’état, on en est loin: cette année, le budget justice s’élève à 141 millions d’euros. D’ici la fin de la législature, le gouvernement entend toutefois parvenir à dégager une enveloppe de 256 millions d’euros annuellement, ainsi que l’a annoncé, fin mars, la ministre Annelies Verlinden (CD&V).