Les climatosceptiques ont de plus en plus le vent en poupe alors que les catastrophes dues au dérèglement climatique n’ont jamais été aussi extrêmes. Voici pourquoi.
Est-ce le retour de Donald Trump – le plus influent des climatosceptiques – qui libère la parole? Sans doute. Mais la recrudescence du climato-scepticisme date d’avant l’investiture du républicain et même d’avant la campagne présidentielle durant laquelle le président américain a diffusé ses messages antiécologiques. La tendance à la hausse du phénomène s’observe depuis environ cinq années. Une des études les plus souvent citées en la matière est celle de l’ObsCOP, l’Observatoire international climat et opinions publiques, réalisé par Ipsos et Suez auprès de 23.500 personnes dans 30 pays (dont 1.000 en Belgique). La sixième édition, sortie fin 2024, montre clairement que le climato-scepticisme augmente depuis 2019, passant de 31 à 39% de la population en moyenne au niveau mondial. La Belgique n’y échappe pas. Actuellement, 39% des Belges, soit deux sur cinq, se déclarent climatosceptiques.
L’étude distingue néanmoins deux types de réponse, à savoir «il n’y a pas de changement climatique» et «il y a un changement climatique, mais pas d’origine humaine». Au niveau global, 10% choisissent la première option. Ils sont ce qu’on appelle des «climato-dénialistes». En Belgique, ils sont 15%. C’est davantage qu’en France (10%), en Allemagne (9) ou en Italie (9), ainsi que par rapport à la moyenne. Relevons que le pays sondé qui compte le plus de climato-sceptiques est l’Arabie Saoudite: 63% (dont 18% de dénialistes). Selon l’ObsCOP, ce sont surtout les sceptiques de l’origine humaine du dérèglement qui augmentent le plus. Le nombre de ceux qui n’y croient pas du tout reste stable. Si l’on remonte encore dans le temps, un peu avant les années 2020, la proportion des climatosceptiques par rapport à la population tournait plutôt autour de 20%. Qu’est-ce qui explique une telle augmentation?
Scepticisme mou, scepticisme dur
Mélusine Boon-Falleur, chercheuse et professeure à Sciences Po Paris, y voit plusieurs facteurs. «D’abord, la méthodologie des enquêtes a changé, signale-t-elle. Auparavant, la question était très binaire. Aujourd’hui, les études offrent le plus souvent un choix de réponses entre la négation du changement climatique et la négation de l’origine anthropique du changement, ce qui donne davantage l’opportunité d’exprimer un doute face à la question». Cela expliquerait en partie pourquoi on observe surtout une augmentation du scepticisme «mou» par rapport à l’origine humaine et non du scepticismes «dur» par rapport au changement climatique lui-même. Pour le reste, la hausse du scepticisme est surtout due à un ras-le-bol grimpant vis-à-vis de la question climatique. «De plus en plus de personnes ne veulent plus être embêtées par ça, relève la chercheuse. Il s’agit d’un mécanisme de défense, d’une volonté de se défausser du problème en disant qu’on n’y est pour rien. Une manière de le faire est de nier l’origine humaine du dérèglement.»
L’opposition des climatosceptiques se révèle d’ailleurs moins contre l’écologie que contre les écologistes, souvent perçus comme des bobos universalistes. Ce qui amène Melusine Boon-Falleur à pointer un troisième facteur. «La question des valeurs, dit-elle. Aujourd’hui, l’écologie est fort incarnée par des personnalités de gauche, antispécistes, anti-chasse, éloignées de certaines traditions. Et ils ont discours clivant, comme Sandrine Rousseau quand elle déclare que le barbecue est un symbole de virilité. Il n’y a pas d’écologie de droite qui s’intéresse aux problèmes de sécurité ou financiers des gens, au respect des traditions… C’est certainement un champ à investir, peut-être via des institutions qui gardent une bonne image populaire, comme l’armée ou les pompiers qui sont d’ailleurs en première ligne pour lutter contre les conséquences catastrophiques du réchauffement.»
Au gré des cycles économiques
Révélateur: on retrouve davantage de climatosceptiques parmi les électeurs de droite et d’extrême droite, parmi les personnes moins aisées et/ou moins diplômées. «Dans les milieux populaires, il y a la crainte que la transition représente des efforts trop importants, analyse Edwin Zaccai, philosophe, docteur en sciences de l’environnement (ULB) et auteur d’un nouveau livre et d’une pièce de théâtre (1). On se demande aussi à quoi bon faire des efforts alors que les plus riches, dont le train de vie est responsable de la majorité des émissions de gaz à effet de serre, n’en font pas, ou si peu. Il est d’ailleurs significatif que, sur plusieurs décennies, on observe des cycles par rapport aux questions écologiques. Ceux-ci sont liés à la santé de l’économie. Quand celle-ci va mal, d’autres problèmes, comme la dette publique ou l’immigration, sont ressentis comme plus pressants que celui du climat. Il est clair que, pour l’instant, on est au creux d’une vague depuis la crise énergétique.» Un signe: les Européens, durement frappés par la crise, se disent moins convaincus de la réalité du changement climatique que le reste du monde, comme le montre le graphique ci-dessous.
Le climato-scepticisme est aussi alimenté par certains lobbies industriels, dont celui des énergies fossiles. Ceux-ci ne remettent plus en cause le constat scientifique du réchauffement, mais dénoncent subtilement certaines figures écologistes ou l’écologie punitive que des politiques anti-Verts reprennent dans leur discours. La désinformation et les fake news jouent aussi un rôle important. «C’est un véritable enjeu, avertit Edwin Zaccai. Il suffit de voir les livres qui sont recommandés sur le site de la Fnac ou d’Amazon dans la catégorie ’’climat’’. Beaucoup sont le fait d’auteurs climatosceptiques (Ndlr: 4 sur 10 sur la Fnac et 6 sur 10 sur Amazon, selon nos vérifications). Cette désinformation est habile, elle n’est pas frontale mais instille le doute. C’est ce qui marche le mieux. Et cela explique que la parole scientifique a du mal à passer par rapport à la désinformation qui se répand via des canaux assez puissants sur les réseaux sociaux.»
Sur les réseaux sociaux justement, le CNRS, en France, a étudié l’agitation des «dénialistes» et des climato-sceptiques sur X. Constat: le débat sur le changement climatique y est très bipolarisé, avec 30% de climato-dénialistes parmi les comptes qui abordent les questions climatiques. Le militantisme niant le réchauffement s’est surtout accru depuis le Covid-19. Certains influenceurs antivax sont d’ailleurs devenus dénialistes. Dans ce remugle numérique, des personnalités comme Trump ont une ascendance évidente. Résultat: les climatosceptiques osent davantage s’afficher, en tout cas sur le web. En Europe, les partis et les leaders politiques qui expriment ouvertement leur climato-scepticisme sont plus rares, mais pas inexistants: le parti d’extrême droite Afd en Allemagne, le FPÖ en Autriche ou Nigel Farage en Grande-Bretagne.
(1) Contradictions ordinaires – un regard décalé sur le climat et la société, par Edwin Zaccai, éd. Samsa, 132 p. et L’Arche et la Tour, Edwin Zaccai et François Ost, éd. Samsa, 70 p. (la pièce sera jouée le 26 février à Namur)