Pour Julias Davis, des Patriotic Millionaires UK, les plus riches doivent montrer l’exemple pour la lutte contre le dérèglement climatique. En mettant la main à la poche et en faisant preuve de sobriété. En étant pompiers plutôt que pyromanes.
Elle fait partie de ces rares personnes fortunées qui ont réellement pris conscience de l’enjeu climatique. Avocate de formation, Julia Davis investit dans des entreprises qui s’attaquent au réchauffement, en particulier celles qui sont actives dans l’économie circulaire. Après avoir vendu ses participations dans la société Osprey Europe (sacs à dos), la Britannique a lancé le fonds environnemental « We have the POWER » qui favorise une foule d’initiatives vertes et durables. Cet quinquagénaire dynamique est aussi membre des Patriotic millionaires UK qui militent pour que les super-riches soient davantage taxés. Dans le cadre du Forum de Davos, elle nous a accordé un entretien.
Pourquoi voulez-vous être davantage taxée ?
Nous sommes confrontés à une crise environnementale qui met en péril les conditions de vie de communautés et d’espèces entières. Cette crise a été provoquée par une surconsommation des ressources par certaines personnes aux dépens de toutes les autres formes de vie sur terre. Les plus riches y ont le plus contribué. Si nous voyons la crise climatique comme une rue en feu, la richesse est trop souvent utilisée comme un accélérateur d’incendie. Elle attise les flammes qui ravagent les maisons voisines en finançant les industries extractives fossiles et un mode de vie consumériste exorbitant avec des jets privés, des vols aériens fréquents, des yachts, des voitures rapides… Alors qu’en cette période de menaces mondiales sans précédent, la richesse devrait être utilisée comme un extincteur, en investissant dans l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, l’agriculture régénérative et la restauration de la nature. La richesse a été créée grâce aux industries extractives et à l’exploitation excessive des combustibles fossiles, mais aussi de la terre et de la mer, ce qui a conduit au dérèglement climatique et à l’effondrement de la faune. Il est donc normal que la richesse soit imposée pour aider à résoudre ces problèmes potentiellement mortels.
Comment convaincre que les plus riches soient davantage taxés ?
Après des décennies d’incapacité à résoudre le problème de la transition énergétique et climatique, il est clair que nous ne pouvons pas nous fier au secteur privé et ou à la philanthropie. Il faudra des investissements publics, conséquents et rapides, pour y arriver. Qui mieux que les riches peuvent pourvoir l’Etat pour cela ? Taxer la richesse pour investir dans les services publics et les infrastructures profitera à nous tous. Aujourd’hui, nous payons le prix d’écoles délabrées, de soins de santé sous-financés dont les travailleurs sont épuisés et de plus en plus souvent en arrêt maladie, alors que les listes d’attente pour avoir une rendez-vous médical sont toujours plus longues.
Certains riches préfèrent se protéger et construire un bunker, comme le fait Mark Zuckerberg à Hawaï pour 250 millions de dollars.
Un bunker à Hawaï ne nous protégera pas d’un effondrement qui entraînerait des régions entières de la planète devenus inhabitables. La richesse doit servir à protéger l’avenir de nos enfants et à leur donner les libertés dont nous avons bénéficié. Il n’y a pas de liberté dans un bunker, quelle que soit la fortune gaspillée pour l’aménager comme la base souterraine du vilain dans un James Bond. Bien sûr, il y a les riches qui font passer leurs propres intérêts en premier, mais cette attitude est de plus en plus considérée comme antisociale et égoïste, voire tout simplement comme une mauvaise parentalité.
Les riches et les ultra-riches se disent tout de même de plus en plus verts. Ils conduisent des voitures électriques, mangent moins de viande, achètent bio…
L’ampleur de la crise à laquelle nous sommes confrontés nécessite une réponse d’urgence à tous les niveaux. Tout est important, mais pas de la même importance. Nous avons besoin que tout le monde consomme moins de viande et de produits laitiers, achète moins de vêtements neufs, prenne moins l’avion, utilise moins sa voiture, fasse de la marche à pieds, du vélo et utilise davantage les transports publics. Il est difficile de faire accepter cela lorsque les très riches sont traités comme un cas à part et autorisés à utiliser chacun les ressources équivalentes à celles d’une petite ville. Nous devrions nous attendre à des standards environnementaux plus stricts de la part des riches, mais à l’heure actuelle, la société leur donne encore carte blanche pour consommer à une échelle mortelle. Je crois et j’espère que cela commence à changer.
Vous-mêmes, qu’avez-vous changé dans votre mode de vie ?
Vous savez, la richesse permet de faire plus facilement ce qui est juste. J’adore voyager et j’ai longtemps essayé de justifier le fait de continuer à voler parce que je suis végétarienne, que j’ai une voiture électrique, que je finance la restauration de la faune, etc. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche. J’ai investi dans une agence de voyages sans vol appelée Byway Travel et je n’ai pas pris l’avion depuis quatre ans, mais j’ai quand même pu passer d’excellentes vacances, en faisant notamment de la plongée sous-marine en Sardaigne et du ski en Suisse, car j’ai les moyens de voyager en train à travers toute l’Europe.
L’idée d’un « capitalisme vert » fait son chemin. Quelle place accordez-vous à la technologie dans la transition climatique ?
La technologie est importante, mais actuellement, on se concentre beaucoup trop sur les technologies futures et on y investit beaucoup trop. Et c’est utilisé comme prétexte pour retarder la mise en œuvre de vraies solutions. Par ailleurs, si les sommes considérables investies dans des technologies de captage du carbone, lesquelles n’ont pas encore fait leurs preuves, étaient plutôt investies dans l’isolation des maisons, le déploiement de panneaux solaires et de pompes à chaleur dans les maisons, le soutien à l’agriculture régénérative et la restauration de la nature, nous ferions immédiatement de grands progrès dans la lutte contre la crise climatique et la perte de biodiversité.
Qu’avez-vous pensé de la COP 28, de son président ?
C’est exactement ce que j’attendais d’une COP organisée dans un pays qui tire une grande partie de ses revenus des combustibles fossiles et qui parle ouvertement d’augmenter la production de pétrole et de gaz…
Les grandes fortunes participent de plus en plus aux négociations sur le climat. On les écoute beaucoup, à l’instar d’Emmanuel Macron lors du One Planet Summit à Paris. Est-il intéressant ou dangereux de les voir s’immiscer dans la gouvernance climatique ?
Ceux qui possèdent les fortunes les plus extrêmes ont désormais plus d’influence aux niveaux national et mondial que les gouvernements, ce qui est extrêmement antidémocratique. La domination des entreprises de combustibles fossiles à la COP est clairement un facteur important qui retarde les mesures de sauvegarde de la vie, de la faune et de la société dont nous avons désespérément besoin.
Que pensez-vous des riches philanthropes du climat ?
La philanthropie est importante mais elle ne suffit pas. Si c’était le cas, nous ne serions pas là où nous en sommes actuellement. Ceux qui possèdent de grandes fortunes, qui résistent à l’imposition de la richesse et aux mesures visant à taxer les secteurs à émissions extrêmes de combustibles fossiles comme les jets privés, et qui continuent d’investir dans ces secteurs destructeurs de l’environnement et crient ensuite haut et fort qu’ils sont des philanthropes, tentent tout simplement de détourner l’attention. C’est comme s’ils jetaient des litres d’essence sur une maison, y allumait le feu et ensuite espéraient se voir féliciter d’avoir utilisé votre énorme réserve d’extincteurs pour juste éteindre les flammes sur une petite chaise, alors que le reste de la maison continue de brûler de manière incontrôlable à cause de l’essence qu’ils n’arrêtent de balancer.