La consommation de papier WC, adoptée depuis la Seconde Guerre mondiale, ne cesse d’augmenter. Bonne nouvelle pour l’hygiène générale, nettement moins bonne pour la planète.
On en utilise 42 millions de tonnes chaque année dans le monde. Reliés les uns aux autres, ces 184 milliards de rouleaux de papier WC s’étaleraient sur 22 milliards de km. Soit de quoi faire le tour de la Terre 550.000 fois, selon les calculs de Research Nester, une firme de consultance indienne spécialisée en études de marché. En Europe, d’après les statistiques de Planetoscope, chaque habitant en consomme quelque treize kilos par an, soit 120 rouleaux en moyenne.
Sur le plan économique, le secteur pèse lourd: le marché mondial était évalué à quelque 56 milliards de dollars US (47 milliards d’euros) en 2025, selon plusieurs instituts de recherches, et devrait avoisiner les 86 milliards de dollars US (73 milliards d’euros) d’ici à 2035. Une croissance régulière qui s’explique surtout par l’augmentation de la population mondiale et par un meilleur accès global à des installations sanitaires. Même si entre 50 et 70% des Terriens ne recourent pas au papier toilette pour assurer leur lavage intime, préférant de loin l’usage de l’eau…
«Nous observons en effet une croissance annuelle de nos ventes de 2,4%, confirme Teresa Cremades Bravo, responsable de cette catégorie de produits chez Kimberly-Clark (Scott et Scottex), dans le magazine Gondola. Mais les consommateurs ne veulent pas dépenser beaucoup pour ce type d’achat: un produit de qualité standard leur suffit.» Chez Kimberly-Clark, ce segment est en augmentation de 7%.
Tout particulier qu’il soit comme produit, le papier toilette n’échappe pas aux grandes questions de société: certains consommateurs sont préoccupés par l’impact écologique des marchandises qu’ils achètent. Or, à l’échelle mondiale, le papier toilette représente environ 10% de la production de produits en papier. Selon une étude datant de 2010, signée par le Worldwatch Institute, 27.000 arbres seraient abattus chaque jour uniquement pour alimenter cette filière de production. Un chiffre certainement sous-estimé en 2025. Selon le site Planetoscope, dix rouleaux de papier toilette jetable équivalent à 2,5 kg d’émissions de CO₂. Fabriquer du papier toilette à partir de 100% de fibres vierges «génère trois fois plus de carbone que les produits fabriqués à partir d’autres types de pâte», selon le rapport de Natural Resources Defense Council et Stand.earth. Sans parler de la consommation d’eau: la fabrication d’un seul rouleau de papier toilette nécessite entre 100 et 140 litres d’eau.
Cerise sur le gâteau, le papier toilette contient également des PFAS, ces «polluants éternels» associés à plusieurs types de cancers, de maladies cardiovasculaires, de problèmes de fertilité et de troubles du développement chez les enfants. Des chercheurs de l’université de Floride ont identifié cette source «potentiellement importante» de PFAS en analysant, en 2023, les produits de 21 grandes marques de papier toilette vendues en Amérique du Nord, Europe occidentale, Afrique, Amérique centrale et Amérique du Sud. L’explication proviendrait du fait que certains fabricants ajoutent des substances chimiques au produit, notamment pour le parfumer ou le colorer, dont les traces se retrouvent en bout de chaîne.
Selon une étude publiée en 2013 par l’Anses, l’agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, même les rouleaux produits à partir de papier recyclé sont susceptibles de comporter des traces de bisphénol A, un perturbateur endocrinien présent dans les encres d’imprimerie. Enfin, il y a la question de l’emballage de tous ces rouleaux, généralement en plastique. Bref, peut mieux faire…
Quelles alternatives au papier WC ?
Les entreprises qui produisent du papier toilette ont bien compris que les consommateurs n’étaient pas férus de rouleaux de papier à la couleur indéfinissable, à base de produits recyclés et considérés comme moins doux que leurs prédécesseurs. Elles se sont alors tournées vers le bambou, un végétal qui pousse vite et qui permet de fabriquer un papier doux et résistant. Mais son acheminement depuis l’Asie n’est pas indolore sur le plan environnemental non plus. En outre, les consommateurs ne sont pas forcément prêts à payer plus cher pour des produits plus écologiques.
D’autres fabricants tentent donc de produire au départ de fibres de textiles recyclées, notamment du coton, de papiers de bureau, voire de couches et mouchoirs en papier usagés. Une production pour l’instant limitée et trop coûteuse pour devenir populaire auprès des consommateurs.
Et puis il y a le bidet, jadis très commun et toujours présent dans certains pays, comme en Europe du Sud ou au Japon. Certes gourmandes en espace, ces petites cuvettes sur lesquelles s’asseoir peuvent aujourd’hui être équipées de technologies de pointe, comme un souffle d’air chaud pour assurer le séchage après l’utilisation d’un jet d’eau. Dans d’autres régions du monde, comme en Asie du Sud-Est, on recourt plutôt au bumgun, une sorte de douchette à manier manuellement. Toutes pratiques qui réduisent considérablement l’usage du papier toilette et la consommation d’eau. Le bidet consomme environ 600 ml d’eau par utilisation, soit autant qu’une feuille unique de papier toilette, selon les calculs réalisés par Elliot Muller, chercheur au Centre international de référence sur l’analyse du cycle de vie et la transition durable (CIRAIG).
L’épidémie de Covid avait relancé l’intérêt pour les bidets, soudain devenus valeur-refuge: à l’époque, le papier WC était l’un des produits sur lesquels les consommateurs, apeurés à l’idée d’en manquer, s’étaient rués en masse.
Un peu d’histoire
Si le papier hygiénique a été inventé en 1857, il n’existe en rouleau que grâce à l’Américain Seth Wheeler qui en eût l’idée en 1871. Ce n’est qu’à partir de 1935, apprend-on sur Wikipedia, que le produit fini sera garanti sans échardes… Quant au rouleau de papier à double épaisseur, il verra le jour en 1942 en Angleterre. Sur le continent, c’est surtout après la Seconde Guerre mondiale que le papier toilette que l’on connaît aujourd’hui s’imposera, au détriment du papier journal.
Beaucoup plus loin dans le temps, des découvertes archéologiques suggèrent que les Romains utilisaient des fragments de céramique, appelés «pessoi» pour se nettoyer l’arrière-train. «Les caractéristiques abrasives de la céramique suggèrent que l’utilisation à long terme des « pessoi » aurait pu entraîner une irritation locale, des lésions de la peau ou des muqueuses, ou des complications d’hémorroïdes externes, détaillent les chercheurs qui s’exprimaient à ce sujet dans le British Medical Journal. Autre possibilité à l’époque: recourir à une éponge, fichée au bout d’un bâton, et… généralement partagée par tous les utilisateurs.















