L’anthropologue Michel Agier dénonce un racisme structurel et une infrapensée raciste dans nos sociétés, et vante la voie de la culture pour en réduire les méfaits.
«Il y eut une contemporanéité significative, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, entre la racialisation du monde par la pensée européenne (anglaise et française principalement), les conquêtes coloniales européennes, et l’invention au niveau international de la figure politique du blanc dominateur», énonce l’anthropologue Michel Agier dans Racisme et culture, un essai éloquent sur l’enracinement du racisme dans le monde et le rôle que la culture peut jouer pour le cultiver ou, au contraire, le combattre. Car, «s’il n’y a pas de races du point de vue des approches biologiques, il y a du racisme dans la société qui produit la race».
Fort de son expérience d’ethnologue en Afrique, Michel Agier dissèque les séquelles laissées par la colonisation, l’esclavage ou la domination économique européenne sur les personnes d’origine africaine. «Lorsque les sujets sortent, individuellement ou collectivement, de leurs positions assignées, lorsqu’ils et elles se rendent visibles hors de leurs places, lorsqu’ils et elles réclament un dû, l’infrapensée raciste et sa violence verbale et physique refont surface, en situation, et prennent le relais, en quelque sorte, du racisme structurel.»
«Au Brésil, si l’on frappe un Noir, tout le monde pense que c’est un voleur et tant pis pour lui.»
Le grand intérêt du récit de Michel Agier est de rappeler «l’universalité» du racisme. En Tunisie, il est entretenu par le président Kaïs Saïed lui-même, dénonçant en 2023 «les hordes de migrants illégaux» qui «menacent» l’identité arabo-musulmane du pays, au point de mettre aussi en danger la vie des Tunisiens noirs. Au Brésil, il se développe dans une certaine indifférence. Pour preuve, le cas du Congolais Moïse Mugenyi Kabagambe, employé de restaurant non déclaré lynché à mort en 2022 à Rio parce qu’il réclamait d’être payé. «Au Brésil, si l’on frappe un Noir, tout le monde pense que c’est un voleur et tant pis pour lui. En revanche, si on attaque un Blanc, les gens réagissent», témoigne son frère.
Face à ce déni d’humanité, l’auteur entretient l’espoir d’un progrès en mettant en avant le travail du groupe de carnaval Ilê Aiyê, composé d’Afro-descendants, qui montrent à Salvador de Bahia qu’ils ne veulent pas être «les Noirs du racisme de la société brésilienne». Cet exemple par la culture ouvre, selon Michel Agier, «de nouveaux chemins vers les libérations dans l’imaginaire, les subjectivations politiques, et les utopies». Délivrés du racisme.