Près d’un électeur sur cinq ignore toujours pour qui il va voter ce dimanche 9 juin. Plusieurs facteurs, certains plus rationnels que d’autres, peuvent peser dans la balance à quelques jours (voire quelques minutes) de l’ouverture des bureaux de vote.
Bleu, vert, rouge, jaune… C’est un véritable arc-en-ciel qui s’abat dans les boîtes aux lettres des Belges à moins de quatre jours du scrutin. Les partis en lice l’ont bien compris: un simple courrier ou flyer aux couleurs de leur groupe pourrait encore faire basculer l’issue du vote, tant la proportion d’indécis reste importante au sein de la population.
Selon l’enquête «Not Like Us» menée par sept universités du pays, près d’un Belge sur cinq déclarait, en mai 2024, ne pas savoir pour quel parti voter lors des élections fédérales du 9 juin. Ce pourcentage est plus élevé en Wallonie (21%) qu’en Flandre (18%) ou à Bruxelles (16%), et relativement similaire aux taux enregistrés lors de la dernière échéance électorale, en mai 2019. Dans le détail, ce sont surtout les femmes (24%) qui semblent plus hésitantes que les hommes (14%), et les 19-29 ans (22%) plus que les 65 ans et plus (18%). Par contre, contrairement aux résultats de 2019, aucune différence ne s’observe selon le niveau de diplomation (primaire, secondaire ou supérieur). «Une explication possible réside dans le succès électoral du Vlaams Belang et du PTB-PVDA, deux partis qui attirent fortement les électeurs les moins instruits», précise l’enquête.
Hésitation ou indifférence?
Ces électeurs peuvent être répartis en quatre catégories en fonction de la nature de leur indécision, estime Pierre Baudewyns, professeur de science politique à l’UCLouvain et co-auteur de l’étude: le faible intérêt pour la politique (manque d’informations et de compétences), l’hésitation de fond (oscillation entre deux partis de gauche aux positionnements relativement proches, par exemple), la multiplicité voire le surplus de choix (liés aussi au triple scrutin – fédéral, régional, européen) et l’indifférence voire le rejet du système.
Selon leur profil, ces électeurs pourront encore hésiter jusqu’à quelques jours avant l’échéance, voire jusqu’à la dernière minute. Plusieurs facteurs sont susceptibles d’influencer leur choix final dans les urnes.
D’abord, il y a évidemment (et heureusement!) les élements de fond. Tous les indécis ne sont pas forcément désintéressés par la politique ou dans une posture de rejet. «La prise de position (parfois tardive) d’un parti ou d’un candidat sur une thématique précise et jugée cruciale par l’électeur pourra le convaincre au bout du compte, avance Pierre Baudewyns. C’est ce qu’on appelle le vote sur enjeu.»
«Il présente bien»
Ensuite, les stratégies communicationnelles revêtent une grande importance dans les jours précédant le scrutin. Un flyer ou un courrier nomminatif dans une boîte aux lettres peut rappeler l’existence d’un candidat ou d’un parti à un électeur distrait ou en manque d’informations. Un politique qui fait du porte-à-porte aura également un grand capital de persuasion auprès d’un électeur indécis. «Une interaction interpersonnelle a encore plus de poids qu’un flyer, car la personne se sent davantage concernée et le candidat lui-même peut apporter une vision plus nuancée de son positionnement, assure Jasper Van Assche, professeur en psychologie sociale et interculturelle à l’ULB. La création de ce lien pourra influencer tant les électeurs hésitants, que les mal-informés ou les désintéressés.»
Certains électeurs pourront également être convaincus par l’image renvoyée par le candidat qui sonne à sa porte plus que par son message, rappelle Pierre Baudewyns. La traditionnelle réflexion «il ou elle paraît compétent» ou «il ou elle présente bien» peut fortement peser dans la balance des indécis. Une image positive qui peut également être renvoyée dans les ultimes débats de campagne diffusés à la télévision ou dans les publications (sponsorisées ou non) sur Facebook ou Instagram. «Les réseaux sociaux ont une énorme influence auprès du public indécis, qui peut être confronté au discours politique sans être pour autant dans une démarche proactive de recherche d’informations, indique Pierre Baudewyns. Les réseaux permettent aussi une communication plus claire, voire simpliste, qui peut s’avérer convaincante.»
Peur et colère, les émotions déterminantes
Au-delà des stratégies de communication politique, les ultimes interactions de l’électeur avec ses proches auront encore une plus grande capacité de persuasion. «Ces conversations avec la famille ou les amis ont un impact très fort sur le vote car, généralement, ce sont des personnes en qui l’électeur a confiance et avec qui il partage des valeurs communes» , observe Jasper Van Assche. L’avis de cercles plus éloignés, comme les voisins ou les collègues, peut également modifier le comportement des indécis, notamment par la volonté d’appartenance à un groupe. Bref, une discussion à la machine à café le vendredi précédant le vote ou autour des croissants le matin-même du scrutin peut valoir son pesant d’or.
Les éléments liés à l’affect ou à l’émotion ne doivent pas non plus être sous-estimés dans le comportement de vote des indécis. «La peur et la colère ont une grande infuence sur le choix politique» , rappelle Pierre Baudewyns. Un électeur qui se sent victime d’inégalités ou ayant récemment subi une agression sera par exemple plus susceptible de voter pour un parti de l’opposition plutôt que pour un parti au pouvoir (jugé responsable du sentiment d’insécurité ambiant).
Une discussion à la machine à café le vendredi précédant le vote ou autour des croissants le matin-même du scrutin peut valoir son pesant d’or.
Ces facteurs émotionnels, parfois conjoncturels, sont également déterminants le jour du vote. «Le bus qui arrive en retard pour se rendre aux urnes ou le bureau de vote qui n’ouvre pas à l’heure prévue peut enegendrer de la colère, qui se traduira par un vote de défiance dans l’isoloir, voire un vote blanc ou nul, la personne fâchée pouvant par exemple griffonner son bulletin», illustre Pierre Baudewyns.
Ciel bleu ou orageux?
Le temps qu’il fait le jour du scrutin peut également influencer les résultats, note Jasper Van Assche. Pendant de nombreuses années, le chercheur en psychologie sociale a étudié l’impact de la météo sur les élections présidentielles aux Etats-Unis. «Il en ressort deux choses: d’une part, le beau temps et des températures clémentes peuvent conférer un sentiment de confort et de bonne humeur aux électeurs, plus susceptibles de voter pour les partis au pouvoir, explique l’expert. Dans une moindre mesure, la chaleur peut également entraîner de l’agressivité dans le chef des votants et traduire un vote ‘anti’ ou contre le système en place.» Dans le cas d’une élection où le vote n’est pas obligatoire, la pluie peut également décourager les électeurs à se rendre aux urnes et donc engendrer un taux d’abstention plus important.
Si les facteurs rationnels jouent un rôle plus substantiel sur l’issue du scrutin, les éléments irrationnels peuvent s’avérer déterminants lors d’élections serrées, conclut Jasper Van Assche. «Ces différentes motivations ne sont pas exclusives l’une de l’autre, complète Pierre Baudewyns. Un électeur convaincu par des enjeux de fond aura également sa sensibilité émotionnelle, mais qui sera peut-être moins prégnante.»