Le bonus pension sera de retour en Belgique dès cet été. Son but? Soutenir les travailleurs désireux de rester actifs plus longtemps. Qu’implique-t-il? Comment en bénéficier? Quels sont ses avantages éventuels? Et surtout à quel montant pourriez-vous prétendre. Analyse, cas concrets et simulateur.
La réforme du système des pensions vient d’être adoptée par la Chambre. La mesure phare de la réforme est le retour du bonus pension, à l’attention des personnes en âge d’être pensionnées mais qui continueront à travailler, et ce dès le 1er juillet 2024. Les premiers bonus seront versés aux personnes qui partiront à la retraite à partir du 1er janvier 2025. Pour y avoir recours, le pensionné devra justifier d’une période de travail supplémentaire d’au moins 6 mois au-delà de la date de sa pension anticipée.
1. Qu’est-ce que le bonus pension?
En bref, le bonus pension est un avantage financier que les travailleurs peuvent percevoir s’ils font le choix de poursuivre une activité professionnelle au-delà de la date légale de leur pension anticipée ou de leur retraite. Ce mécanisme n’est pas vraiment nouveau, puisqu’il avait déjà été introduit en Belgique en 2006. À l’époque, un montant forfaitaire d’environ deux euros brut était octroyé pour chaque jour travaillé après l’âge de 62 ans ou après une carrière d’au moins 44 années civiles. Ce montant était ajouté à celui de la pension.
Le régime a été modifié en 2014 mais n’a survécu qu’une année supplémentaire, avant d’être finalement supprimé. En cause: le système a été jugé trop cher, inefficace en matière de relèvement de l’âge de la retraite et profitant surtout à des travailleurs qui auraient de toute façon poursuivi leur carrière au-delà de la date de prise en cours de leur (pré)pension.
Le bonus pension est très souple et fonctionnera à la carte.
«Le précédent bonus était par ailleurs brut et sous forme de rente, précise Karine Lalieux (PS), ministre des Pensions. C’est désormais un capital net d’impôts qui sera cumulé avec la pension.» La formule qui verra le jour en Belgique en 2024 est en fait inspirée du modèle espagnol. Une autre formule avait été initialement proposée en 2022 mais elle avait été jugée moins incitative et risquait surtout d’alourdir le coût des pensions en Belgique. Un point dont la Commission européenne ne voulait pas entendre parler.
«On a donc continué à réfléchir sur la question, et c’est dans ce cadre qu’on a rencontré le ministre espagnol des Pensions, lui aussi engagé dans une réforme des retraites, poursuit Karine Lalieux. Il était ressorti des recherches de ses experts qu’un bonus sous forme de capital était plus incitatif qu’une rente pour soutenir l’emploi des travailleurs âgés. La solution a également été validée par l’Union européenne et par notre Bureau du Plan. Elle a donc été retenue.»
L’objectif affiché du bonus pension est que davantage de travailleurs fassent le choix de poursuivre leur carrière au lieu de prendre leur (pré)retraite dès la première échéance possible. La formule est uniquement incitative car, selon la ministre, «la sanction ne sert à rien ; quand on introduit des malus, on voit qu’il y a de toute façon des transferts – maladie ou autres». Et d’ajouter qu’en instaurant cet avantage, «la volonté est de participer à l’objectif de 80% de taux d’emploi dans le pays à l’horizon 2030».
Le bonus pension pourra être constitué au cours de maximum trois années de travail, après l’âge de la pension anticipée. Ses montants seront progressifs.
Pour chaque année de travail supplémentaire, le travailleur se constituera un bonus. Celui-ci s’élèvera à 314,58 euros par mois de services réellement prestés au cours de la première année de référence, de 629,17 euros par mois la deuxième année et, enfin, de 943,75 euros la troisième année. La première année, la personne qui décide de continuer à travailler pourra donc se constituer un bonus de maximum 3 775 euros, au prorata des jours prestés. L’avantage atteindra 7 550 euros la deuxième année, puis enfin 11 325 euros la troisième année. Au total, les travailleurs qui prolongeront leur carrière de 3 années de travail auront droit à un montant total de 22.650 euros nets.
«Il s’agit d’un capital net d’impôts, payé par défaut en un versement unique mais on pourra aussi demander de le recevoir sous forme de rente mensuelle», détaille Karine Lalieux. Elle souligne que «le bonus pension est très souple et fonctionnera pour ainsi dire à la carte. Ainsi, il sera possible pour ceux qui le désirent de poursuivre leur carrière seulement un ou deux ans, ou encore de diminuer leur temps de travail au fur et à mesure. Dans ce cas, la personne aura toujours accès au bonus pension, mais au prorata des jours prestés.»
Le bonus sera majoré pour les carrières longues, c’est-à-dire pour les personnes qui doivent prester 43 ou 44 années avant d’avoir accès à la pension anticipée. Si ces travailleurs décident de poursuivre leur carrière, ils toucheront dès la première année un avantage de 11 325 euros (au lieu de 3 775 euros). Ils pourront ainsi accumuler jusqu’à 33 975 euros nets au bout de trois ans. Ces montants seront versés en une seule fois. S’il le souhaite, le pensionné pourra demander que le bonus soit versé sous la forme d’une rente mensuelle. Le bonus pension sera accessible aussi bien aux salariés, qu’aux indépendants et aux fonctionnaires. «Ce sont souvent des personnes qui ont commencé à travailler très tôt et exercent des métiers plus pénibles, donc elles sont davantage récompensées», précise la ministre.
Enfin, il faut noter que le bonus pension s’adresse aussi bien aux salariés qu’aux indépendants et aux fonctionnaires qui partiront à la retraite à partir du 1er janvier 2025. Pour y avoir accès, il faudra justifier d’au moins six mois de travail supplémentaires après la date légale de la pension anticipée.
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3. Bonne idée ou pas?
Dans son principe, le bonus pension est une mesure favorable puisqu’elle va permettre aux personnes concernées de bénéficier d’un beau capital pour leur pension. Le montant forfaitaire devrait être notamment assez incitatif pour les plus bas salaires, et s’avérer utile pour les retraités qui n’ont, par exemple, pas fini de rembourser l’emprunt de leur logement ou qui ont encore des enfants à charge.
L’économiste Philippe Defeyt souligne aussi un impact sociétal positif: «Si c’est volontaire, c’est a priori une bonne chose que des personnes soient encouragées à travailler plus longtemps. Je crois vraiment que beaucoup de travailleurs plus âgés ont des compétences et des soft skills à communiquer aux plus jeunes. Par exemple, un enseignant pourrait prolonger sa carrière pour remplacer des collègues malades ou aider de jeunes professeurs en difficulté dans leur classe.»
Le capital est net d’impôts, les gens savent ce qu’ils reçoivent et de quelle manière.
L’économiste, comme d’autres observateurs, est par contre beaucoup moins convaincu par la formule de capital proposée par le gouvernement. Contrairement au précédent système de rente liée à la pension, ce montant unique ne sera pas indexé et, vu l’inflation élevée, les bénéficiaires du bonus risquent de voir leur pouvoir d’achat diminuer sur le long terme. «Quand on reçoit un capital, surtout par les temps qui courent, on ne sait jamais combien de temps il durera, souligne Philippe Defeyt. On ne sait pas ce qu’il rapportera, on peut faire un mauvais placement, etc. Bref, le risque est vraiment très important pour le travailleur. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les rendements actuels d’une série de fonds de pension et autres placements auxquels recourent les personnes pour leur retraite.»
Avec ce capital non indexé, beaucoup craignent également que le montant perçu soit insuffisant pour ceux qui vivent plus longtemps. Le bonus pension désavantagerait ainsi principalement les femmes, dont l’espérance de vie est plus élevée que celle des hommes. Face à ces critiques, la ministre Lalieux défend l’idée qu’un capital net est plus incitatif et rassurant qu’une rente brute. «Beaucoup de personnes ont peur d’être imposées parce qu’elles reçoivent plus d’argent. Ici, le message est clair: le capital est net d’impôts, les gens savent ce qu’ils reçoivent et de quelle manière.»
Cela suffira-t-il à convaincre les travailleurs de prolonger leur carrière? Michel Wuyts, directeur de Fediplus, organisation experte en gestion des fins de carrière et en matière de pension, émet de gros doutes à ce sujet: «Nous ne sommes évidemment pas contre le bonus pension car c’est une mesure positive. Par contre, je m’interroge quant au fait qu’il soit vraiment incitatif… Peut-être que l’effet psychologique de recevoir la somme en une seule fois jouera favorablement mais, comme pour la précédente formule, les personnes qui en profiteront auraient sans doute continué à travailler de toute façon.»
Même avec un bonus majoré, Michel Wuyts pense en effet que la mesure ne bénéficiera pas forcément aux carrières longues. «Si l’on fait un métier pénible et qu’on l’a exercé pendant 43 ou 44 ans, on aspire surtout à prendre sa pension et je ne pense pas qu’un bonus incitera à travailler au-delà. C’est en tout cas ce qui ressort des discussions que j’ai eues avec quelques-uns de nos membres éventuellement concernés.»
Reste à voir si le bonus pension contribuera favorablement au rééquilibrage du système des pensions et sera financièrement viable pour l’Etat. Selon Philippe Defeyt, cette formule de capital unique est plutôt sûre, puisque la dépense est davantage prévisible qu’une rente. Michel Wuyts estime par contre que «ce n’est pas une mesure prise isolément qui fait une réforme des pensions et assure le financement des retraites dans le futur».
Les dispositions légales
Age de la pension:
Jusqu’au 1er janvier 2025: 65 ans
Du 1er février 2025 jusqu’au 1er janvier 2030: 66 ans
A partir du 1er février 2030: 67 ans
Age et durée de carrière exigés pour la pension anticipée (hors régimes spéciaux):
60 ans et 44 années de carrière
61 ans et 43 années de carrière
62 ans et 43 années de carrière
63 ans et 42 années de carrière
Trois exemples concrets
Carlota a 63 ans et a travaillé 42 ans. Elle pourrait prendre sa pension anticipée mais décide de continuer à travailler:
Une année supplémentaire: elle se constitue un bonus de 3 775 euros net
Deux années supplémentaires: elle se constitue un bonus de 11 325 euros net (3 775 euros lors de la première année + 7 550 euros lors de la deuxième année)
Trois années supplémentaires: elle se constitue un bonus de 22 650 euros net (3 775 euros la première année + 7 550 euros la deuxième année + 11 325 euros la troisième année)
Il s’agit là des montants maximaux, le bonus pension étant calculé au prorata des jours prestés. Si elle le souhaite, Carlota peut travailler seulement une ou deux années supplémentaires, et éventuellement diminuer son temps de travail au fur et à mesure.
Louise a commencé à travailler comme enseignante à 21 ans. Grâce au régime spécial lié à sa fonction, elle peut prendre sa pension anticipée à partir de 62 ans et 41 ans de carrière (contre 43 ans dans le régime classique). Si elle décide de continuer à travailler trois années supplémentaires jusqu’à ses 65 ans, elle aura droit également au bonus, à savoir 22 650 euros net à l’âge de 65 ans, après 44 ans de carrière.
Un ouvrier qui a commencé à travailler dès l’âge de 19 ans peut partir en pension anticipée dès l’âge de 62 ans, avec 43 ans de carrière. S’il décide de poursuivre son activité, il bénéficiera d’un bonus majoré car il appartient au régime de carrière longue (personnes ayant débuté leur vie professionnelle tôt), qui est souvent le fait des métiers plus pénibles. Si, par exemple, Michel décide de travailler deux ans de plus – soit jusqu’à 64 ans et 45 ans de carrière – , il peut se constituer durant ces deux années un bonus équivalent au bonus constitué en trois ans pour les autres travailleurs, soit 22 650 euros. Dans le cas où Robert choisit de travailler trois années de plus, jusqu’à 65 ans, il pourra augmenter son bonus de 50% et bénéficier d’un capital qui atteindra 33 975 euros.