Le marché de l’occasion des voitures électriques peinent encore à décoller. D’aucuns prédisent une amélioration pour 2025. D’autres craignent que certains modèles soient déjà dépassés à leur arrivée en seconde main.
Par Mathieu Colinet
Les ventes de voitures 100% électriques neuves ont progressé en Belgique en 2023. Pour l’ensemble de l’année, elles ont représenté près d’un cinquième des acquisitions (19,6%). Contre 10,3% en 2022. Une jolie évolution. Toutefois, le marché du neuf se répartit toujours aussi inégalement entre professionnels et particuliers. L’an dernier, ces derniers ont concentré moins de 10% des ventes (9,1% soit 8.445 véhicules électriques acquis sur 93.285). Preuve que la majorité des automobilistes n’a pas encore rejoint le mouvement de transition. En partie à cause du prix encore élevé de ce type de motorisation, et même si les moins chères peinent à s’imposer.
Dans ces conditions, il est tentant de se demander si la solution, pour les particuliers, ne pourrait pas venir du marché de l’occasion de ces mêmes voitures électriques. Un «espace» dont on sait qu’il n’a pas encore décollé – 1,8% des voitures d’occasion immatriculées étaient électriques en 2023 – mais au sujet duquel on a régulièrement répété qu’il finirait par réserver de belles surprises.
Or, ces prophéties ont été formulées il y a plusieurs années, alors que les entreprises concluaient les premiers leasings pour électrifier leurs flottes. Où en est-on quatre ou cinq ans plus tard? La fin de ces premiers contrats annonce-t-elle, dans les mois à venir, une petite révolution du marché de l’occasion de la voiture électrique? Ou ce moment tant attendu par certains de profiter de davantage de modèles plus abordables est-il reporté?
1,8%
des voitures d’occasion immatriculées étaient électriques en 2023.
Voiture électrique d’occasion: en nombre limité
Aujourd’hui, le nombre de véhicules électriques disponibles sur le marché de l’occasion est limité. La meilleure façon de s’en convaincre est de faire un tour sur le site AutoScout24, leader en ligne du segment. On y dénombre actuellement un peu plus de 6.200 annonces concernant des voitures électriques. Une goutte d’eau comparé aux quelque 116.000 que le site répertorie, toutes motorisations confondues. «L’offre sur le marché est encore restreinte, confirme Vincent Hancart, manager d’AutoScout24 en Belgique. Mais le nombre de véhicules disponibles augmentera dans les années à venir. C’est une certitude. A quel rythme? C’est toute la question. En ce qui me concerne, je ne m’attends pas à un boom. Plutôt à une augmentation progressive.»
Les spécialistes en conviennent unanimement: les voitures de société seront les catalyseurs de ce marché de l’occasion. «Si elles ne le sont pas encore aujourd’hui, c’est parce que c’est trop tôt, tout simplement, affirme Bart Jourquin, professeur d’économie des transports à l’UCLouvain. Les contrats de leasing sont conclus généralement pour des périodes allant de trois à cinq ans. Autrement dit, les voitures de société arrivées sur ce marché de l’occasion ou qui y apparaîtront dans les prochains mois ont été immatriculées en 2019 et 2020 pour l’essentiel. C’était encore le temps des pionniers.»
Par cette expression empruntant au registre de l’aventure, l’économiste entend qu’à l’époque, relativement peu de voitures de société étaient électriques et que ce type de motorisation dans le parc automobile des entreprises ne s’est imposé que progressivement dans les années suivantes. Les chiffres en témoignent : 7.102 voitures électriques de société immatriculées en 2019, 12.327 en 2020, 19.846 en 2021, 32.010 en 2022 et 84.735 en 2023. Soit une croissance constante et une même une «explosion» au cours de la dernière année, à la faveur de l’entrée en vigueur de règles fiscales faisant des véhicules full électrique les seuls déductibles désormais à 100%.
“2025 pourrait être une année charnière, avec une offre déjà plus dense pour les candidats acquéreurs.”
Est-ce à dire qu’il faudra attendre 2026, voire 2027 – trois ou quatre ans après le début des leasings des véhicules immatriculés en 2022 et 2023 –, pour que le nombre de voitures électriques soit plus important sur le marché de l’occasion? Bart Jourquin le pense. Mais d’autres sont plus optimistes, comme Filip Rylant, porte-parole de Traxio, la fédération des professionnels de la mobilité. «Je pense que 2025 pourrait être une année charnière, avec une offre déjà plus dense pour les candidats acquéreurs.»
Le responsable émet toutefois un avertissement: les voitures neuves en fin de leasing n’«alimentent » pas le marché de l’occasion belge. «Elles pourraient partir vers des marchés étrangers, prévient-il. En effet, les voitures belges ont la cote, notamment en raison du système du Car-Pass, qui certifie leur kilométrage. C’est vrai aujourd’hui pour les voitures thermiques. Le sera-t-il demain pour les électriques également? Je ne sais pas. Mais, selon moi, il y a un risque.»
Pas n’importe quel modèle
Le marché de de la voiture électrique d’occasion se caractérise également par un nombre restreint de modèles. Y dominent ainsi, pour l’heure, les véhicules haut de gamme – grosses berlines ou SUV – alors que ceux plus «petits» y sont nettement moins présents. Un hasard? Non. Les stratégies d’électrification des constructeurs automobiles ont privilégié les premiers et se sont désintéressées des seconds. «Ce choix initial a aujourd’hui des conséquences sur le marché de l’occasion, affirme Francesco Contino, professeur à l’Ecole polytechnique de l’UCLouvain, spécialisé dans les questions d’énergie. Les voitures qu’on y trouve le plus souvent ne sont pas celles de Monsieur et Madame Tout-le-Monde.»
Cette «orientation» du marché de l’occasion n’est pas forcément près d’évoluer. En témoigne le palmarès des modèles neufs les plus vendus en 2023, composé, entre autres, de la Tesla Modèle Y, de l’Audi Q4, de la Volkswagen ID.4, de la Volvo XC40… Pas franchement des «petits» modèles. L’arrivée annoncée de toute une série de véhicules plus modestes sur le marché pourrait changer la donne dans les années à venir. «Mais avant qu’ils soient proposés d’occasion, il faudra attendre encore plus longtemps», affirme Pierre Courbe, chargé de mission mobilité au sein de Canopea, la fédération des associations environnementales.
Une autre difficulté est sur les lèvres de plusieurs spécialistes: qu’une partie des véhicules d’occasion soient déjà «dépassés». «Les évolutions technologiques ont été très rapides ces trois ou quatre dernières années, impressionnantes même à certains égards», affirme Bart Jourquin. Selon l’économiste, c’est vrai notamment pour l’autonomie des véhicules, qui a «gonflé». D’où le «gap» qui peut exister, d’après lui, entre des voitures sorties des ateliers en 2019 ou 2020 et d’autres qui arriveront sur les routes en 2024.
«Si on fait abstraction du poids et de la surpuissance des modèles, ce qui se trouve sur le marché de l’occasion peut très bien convenir et répondre aux besoins de mobilité d’une grande majorité des usagers, affirme, en revanche, Pierre Courbe. Pour rappel, l’utilisation moyenne d’une voiture en Belgique, ce sont entre 30 et 40 kilomètres par jour. Pas plus.»
L’évolution des prix, la grande inconnue
Conséquence du nombre limité de modèles et de la surreprésentation des segments haut de gamme entre autres, les prix sur le marché de l’occasion sont globalement élevés. Pour s’en faire une idée, le meilleur moyen est d’aller de nouveau faire un tour sur le site AutoScout24: sur environ 6.200 véhicules électriques répertoriés, moins d’un millier sont affichés sous les 25.000 euros. «Les prix ont augmenté en 2022 alors qu’un certain nombre d’acheteurs ont cherché sur le marché de l’occasion les véhicules qu’ils ne trouvaient plus neufs, explique Vincent Hancart. Dans les mois qui ont suivi, ils se sont stabilisés. Plus récemment, ils ont légèrement baissé. Mais ils restent élevés, effectivement.»
La grande question est de savoir comment ces prix évolueront dans les mois et les années à venir? Les spécialistes pointent des éléments qui pourraient les influencer vers le bas, comme la hausse du nombre de véhicules d’occasion ou encore l’arrivée de voitures électriques neuves en dessous de 25.000 euros – les fameux modèles plus modestes. Mais ils peinent à décrire l’évolution qu’ils suivront précisément. «Il est très difficile de la prédire, abonde Bart Jourquin. Mais je suis curieux de voir… »
“La guerre des prix que se livrent les constructeurs a des répercussions jusqu’au marché de l’occasion.”
« La grande difficulté est de déterminer ce que vaut une voiture électrique fondamentalement, analyse Vincent Hancart. La guerre des prix que se livrent les constructeurs fait peser une incertitude majeure sur cette valeur. Avec des répercussions jusqu’au marché de l’occasion. Pour l’heure, ce dernier est toujours non transparent. Une structuration des prix se fera tôt ou tard. Mais elle n’a pas encore eu lieu.»
«On verra comment tout cela évolue, conclut Francesco Contino. Mais c’est sûr que la promesse de départ selon laquelle les particuliers pourraient progressivement trouver leur bonheur sur le marché de l’occasion n’est pas rencontrée pour l’instant.»
A quoi faire attention à l’achat d’une voiture électrique d’occasion?
Même s’il n’a pas encore décollé, le marché de la voiture électrique d’occasion est appelé à se développer. Sur ce dernier, les candidats-acquéreurs devront adopter de nouveaux «réflexes». On n’achète pas une voiture électrique en «seconde main» comme on acquiert un véhicule thermique d’occasion. «Les deux types de motorisation ont des caractéristiques différentes, confirme Filip Rylant, porte-parole de Traxio, la fédération des professionnels de la mobilité. Il faut y être attentif au moment de faire son choix.»
Ainsi, par exemple, l’état du moteur d’un véhicule électrique sera moins un point d’attention pour les candidats-acquéreurs, ce dernier comptant quelque 200 pièces contre 1.300, voire davantage, pour un moteur thermique, selon Filip Rylant. Autrement dit, le risque d’usure est bien moindre. A fortiori si le véhicule est peu âgé.
A l’inverse, une élément doit retenir beaucoup plus l’attention des futurs acquéreurs: la batterie. Or, évaluer son état de forme est compliqué pour les particuliers. Et pour cause, il ne dépend pas seulement de l’âge du véhicule ou de son kilométrage mais aussi des conditions d’utilisation, de stockage ou encore de recharge de celui-ci. Des éléments sur lesquels les acheteurs ont assez peu de «visibilité».
«Les constructeurs automobiles assurent généralement un millier de cycles de recharge, estime Vincent Hancart, manager d’AutoScout24 en Belgique. Mais une batterie peut se dégrader plus rapidement dans une série de circonstances: si elle est soumise à de fortes températures, par exemple, ou si elle est régulièrement rechargée à des bornes de recharge rapide.»
La qualité d’une batterie est exprimée par un indicateur: le state of health (SoH). Soit le rapport entre la capacité qu’elle a désormais et celle qu’elle avait lorsqu’elle était neuve. Ainsi, une batterie qui afficherait un «état de santé» de 90% aurait perdu 10% de sa capacité et donc aussi 10% de son autonomie.
Aujourd’hui, différentes entreprises proposent des tests de mesure de ce SoH. S’ils représentent une avancée considérable, ces derniers sont encore jugés généralement «perfectibles». C’est du moins ce qu’indiquent les résultats d’un projet de recherche inédit mené à partir de 2022 par la haute école Thomas More de Malines pour le compte de l’asbl Car-Pass.
«La recherche a consisté à comparer les pourcentages obtenus au travers d’une méthode scientifique déployée en laboratoire sur des bancs à rouleaux et ceux délivrés par des tests aujourd’hui sur le marché, détaille Michel Peelman, CEO de Car-Pass. Les différences entre les deux se révèlent surtout lorsque la batterie est en moins bon état. Autrement dit, ces tests doivent encore être améliorés avant de pouvoir fournir une information complètement fiable. Indiscutablement, c’est un enjeu des prochaines années si l’on veut que le marché de l’occasion de la voiture électrique puisse se développer sereinement.»