Dès mardi soir, le réseau de la SNCB sera paralysé durant 48 heures. Les syndicats se croisent les bras afin de dénoncer une « ryanairisation » des chemins de fer. Cette grève, point d’orgue d’une crise qui couve depuis de longs mois, pourrait se répéter début décembre si le dialogue social reste au point mort, alerte le front commun syndical.
Mouvement de grogne sur le rail. Dès mardi, 22 heures, la circulation des trains sera fortement perturbée sur l’ensemble du pays et ce, durant 48 heures. A sept mois des élections et à l’heure où le transport ferroviaire est censé représenter un allié de taille dans la lutte contre le réchauffement climatique, une grève d’une telle ampleur aurait-elle pu être évitée ? A en croire les syndicats, débrayer était devenu la seule option pour faire entendre la voix des cheminots.
En réalité, l’origine de cet énième conflit social remonte à plusieurs mois. Fin décembre 2022, la SNCB conclut avec le gouvernement un contrat de service public pour les dix prochaines années. « Une bonne chose en soi », concède Pierre Lejeune, président de la CGSP Cheminots. En contrepartie d’un investissement public massif dans le rail, la SNCB s’engage à améliorer la qualité de ses services ainsi que sa productivité. « Ces hausses de productivité, que nous avions déjà contestées à l’époque, devaient s’échelonner sur les dix années à venir », insiste Pierre Lejeune. Malgré un contexte tendu, le front commun syndical et les directions de la SNCB, Infrabel et HR Rail aboutissent en mars à un accord social pour 2023-2024. Cet accord repose sur trois axes : un recrutement massif, une amélioration du bien-être des travailleurs ainsi qu’une augmentation de leur pouvoir d’achat. « Suite à cela, on était confiants. On estimait être sur de bonnes bases pour poursuivre le dialogue social, se remémore le président de la CGSP Cheminots. Sauf qu’au début de l’été, la SNCB a présenté des mesures (lire plus bas) visant à directement augmenter la productivité, dont certaines n’avaient jamais été négociées avec le banc syndical. Nous avons eu l’impression de ne pas avoir eu voix au débat. » Une affirmation que conteste la SNCB, qui assure que la concertation est restée très intensive. « Tous ces dossiers ont été largement discutés avec les organisations syndicales », tranche la porte-parole, Elisa Roux.
« Il y a urgence »
Après de nouvelles réunions à la rentrée, où chacun semble camper sur ses positions, le front commun syndical tire à deux reprises la sonnette d’alarme, une procédure censée alerter sur la gravité de la situation. « Après deux ultimes concertations, les 17 et 24 octobre, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il était impossible d’atteindre un consensus, regrette Pierre Lejeune. Nous avons dès lors décidé de déclencher un préavis de grève, qui devait être suffisamment consistant. En déposant deux fois quarante-huit heures de préavis (les 8 et 9 novembre et les 5 et 6 décembre, NdlR), nous envoyons un signal fort pour dire qu’il y a urgence. » Une grève considérée comme « disproportionnée » et « irresponsable » par la SNCB.
Concrètement, les revendications du front commun syndical – CGSP Cheminots, CSC Transcom et SLFP Cheminots – reposent sur trois points : une reprise du dialogue social, une pérennisation de l’emploi en maintenant le recrutement sur base statutaire et non par voie contractuelle, ainsi qu’un frein aux efforts de productivité exigés par la SNCB.
Une « ryanairisation » du rail ?
C’est ce troisième point qui cristallise surtout les tensions. Les syndicats refusent notamment la diminution du temps de « prise de service », ce temps de préparation dont bénéfice l’accompagnateur entre son arrivée sur son lieu de travail et le début effectif de son service. Actuellement fixé à 20 minutes, il doit être réduit à 10. « Cette durée est la même qu’il y a 25 ans, or les tâches des accompagnateurs ont changé : certaines ont disparu, d’autres ont été simplifiées grâce à la digitalisation », justifie Elisa Roux, qui précise que la SNCB a accepté de maintenir ce temps à 15 minutes durant deux ans. Les syndicats s’opposent également au projet « présence en gare », qui vise à réorganiser le réseau pour assurer une meilleure présence du personnel en gare, ainsi qu’aux mesures permettant d’élargir le périmètre d’activité des agents, impliquant leur polyvalence accrue. Pour Pierre Lejeune, il est nécessaire de d’abord stabiliser et consolider les services actuels avant d’envisager de telles mesures de productivité, « uniquement à la charge des cheminots ». « On a un peu l’impression de travailler à l’envers. 3500 trains sont supprimés tous les mois, la ponctualité est en berne et ne correspond pas aux objectifs déterminés : nous devons travailler en priorité sur ces problèmes », estime le président de la CGSP Cheminots, qui craint in fine une « ryanairisation » des chemins de fer. « Comme chez Ryanair, on essaye de dégrader nos conditions de travail par la hausse de la productivité, on précarise l’emploi en favorisant les contrats de travail plutôt que le statut, et – ce qui me fâche encore plus – on fustige et on décrédibilise les organisations syndicales. »
Rail: la grève de décembre pas encore confirmée
De son côté, la SNCB assure mettre en œuvre « tous les aspects » de l’accord social. La direction souligne les recrutements massifs effectués ces derniers mois et rappelle que les efforts de productivité doivent permettre à la SNCB « d’augmenter la qualité de son offre », mais aussi « d’atteindre une performance comparable aux autres entreprises ferroviaires dans un secteur libéralisé. »
Jeudi, syndicats et directions doivent à nouveau se rencontrer dans le cadre d’un comité de pilotage. De quoi enterrer la hache de guerre ? « Si c’est pour se remettre autour de la table et entendre le même discours que depuis des semaines, je pense malheureusement que ça risque de tourner court », prévient Pierre Lejeune. Le président de la CGSP Cheminots exige des avancées. « J’ose espérer que d’ici début décembre, on pourra retrouver un peu d’apaisement et de bon sens pour pouvoir lever notre second préavis de grève. »